Panoramas

Brigitte Bardot, des chansons au soleil

Entre le doux farniente de « La Madrague » et la liberté insolente de « Harley Davidson », Brigitte Bardot incarne une chanson pop française à plusieurs facettes, comme elle. Alors que l’été est arrivé, retour sur la carrière de la Brigitte Bardot chanteuse.

Brigitte Bardot est la déesse Aphrodite du XXe siècle, le mythe qui attire les regards. Sans cesse, et jusqu’à saturation. Dans Moi je joue, l’ouvrage de Dominique Choulant et François Bagnaud publié chez Flammarion, les auteurs rapportent cette anecdote édifiante de Marcel Amont : lors du tournage de La Mariée est trop belle de Pierre Gaspard-Huit au milieu des années 50, BB partait parfois se rafraîchir dans la Dordogne entre deux prises, serviettes sous le bras et en petite tenue. Le chanteur fantaisiste – qui jouait alors le rôle d’un photographe – raconte que toutes les personnes présentes sur le plateau ne pouvaient la quitter du regard, « le souffle suspendu », jusqu’à ce qu’elle soit hors de leur vue. En 1973, à 38 ans, Bardot quitte la scène artistique, sans doute fatiguée de ces regards insistants d (surtout ceux, plus harcelants, des paparazzis). Et c’est peut-être aussi pour échapper à ces regards qu’elle a flirté avec la chanson, là où sa plastique n’était plus requise et où sa voix était son seul organe « visible » (si l’on excepte sa présence dans des Scopitones). Selon Choulant, « Brigitte Bardot chantait pour s’amuser, de distraire, se détendre. Elle ne cherchait pas à faire une carrière dans la chanson. Elle avait donc une place à part. Non pas sous le soleil des projecteurs, mais sous le soleil de Saint-Tropez. Ses disques étaient des cartes postales. »

Mais détente n’est pas forcément synonyme de dilettantisme et la musique pop carte postale n’est pas nécessairement un art mineur, contrairement aux apparences. Lorsque – comme c’est le cas avec Bardot – la légèreté est associée à certaines sensations fortes et que la carte postale prend des couleurs nostalgiques, la simplicité de la pop peut devenir l’expression d’une force émotionnelle séismique. Le farniente de la petite musique de BB est cristallisé dans cette célèbre chanson (si ce n’est la plus célèbre de son interprète) intitulée La Madrague. Ecrite par ses fidèles complices Jean-Max Rivière et Gérard Bourgeois et enregistrée en 1962 au Studio Wacker, place Clichy, elle résume deux facettes contradictoires de Bardot chanteuse : d’un côté les vacances, la joie de vivre, l’insouciance ; et de l’autre, la fin de tout cela et la nostalgie d’une douceur révolue. Bardot « se détend » lorsqu’elle chante, ce qui ne l’empêche pas de transmettre une certaine tristesse au micro, la tristesse qui côtoie chez elle l’euphorie depuis 1956 et le film de Roger Vadim, Et Dieu créa la femme.

Bien avant les « coquillages et crustacés » de La Madrague, elle s’était échauffé la voix lors d’un show télévisé en l’honneur de Gilbert Bécaud en 1957. Elle y interprétait deux chansons écrites par Monsieur 100 000 volts (Croquemitoufle et Le Mur). Mais le premier véritable enregistrement de Bardot date de 1961 et a pour titre Sidonie – un poème de Charles Cros mis en musique par Jean-Max Rivière et Yani Spanos. C’est dans Vie privée de Louis Malle que Bardot interprète cette chanson pour la première fois, seule à la guitare. Le film raconte l’histoire d’une star harcelée par les paparazzis du fait de ses écarts moraux. Dans ce contexte, pour l’héroïne du film – et pour Bardot elle-même –, la musique représente une bulle protectrice, un terrain de jeu sur lequel elle peut s’amuser comme une enfant, en compagnie de ses deux camarades Rivière et Bourgeois qui, outre La Madrague, sont les auteurs de C’est rigolo, Moi je joue, Une Histoire de plage, Le Soleil, On déménage, ainsi que Oh qu’il est vilain, cette gentille charge envers leur concurrent d’alors, Serge Gainsbourg.

Avec Gainsbourg

Gainsbourg, parlons-en. Lorsqu’on demande à Dominique Choulant la raison d’une telle osmose entre Bardot et l’auteur de La Javanaise, il n’a pas d’autre explication que la simple alchimie artistique et humaine : « Serge Gainsbourg lui a probablement écrit ses chansons les plus puissantes. Les plus fortes, les plus profondes. Il n’y a rien à expliquer, c’est la rencontre de deux personnalités d’exception qui ont fait naître des titres exceptionnels ». Avec Gainsbourg, Bardot passe un cap et dévoile une nouvelle facette de sa personnalité de chanteuse : l’insolence. Après tout, sa voix languissante et mutine peut se prêter à la fois à ce registre aux accents subversifs et aux mélodies tropéziennes et joyeuses de Rivière et Bourgeois. Gainsbourg et Bardot se rencontrent pour la première fois chez Claude Bolling, le compositeur de Borsalino (et arrangeur de très nombreuses chansons de BB). Lorsqu’il propose une chanson à une interprète potentielle – BB ou une autre –, Gainsbourg use toujours de la même stratégie : il ne fait que dévoiler des bribes de paroles à son interlocutrice, ce qui empêche cette dernière de refuser la chanson puisqu’elle n’est pas terminée ! Les premières chansons de ce duo très médiatique sont L’Appareil à sous et Je me donne à qui me plaît. Puis les chefs-d’œuvre pop s’enchaînent : Bubble Gum, Harley Davidson, Bonnie and Clyde (arrangements de Michel Colombier), ainsi que la première version de Je t’aime… moi non plus, enregistrée en 1967 mais qui ne sortira qu’en 1986 – le mari de Bardot de l’époque, Gunter Sachs, s’étant violemment opposé à sa diffusion. Entre-temps, Gainsbourg la réenregistre avec Jane Birkin et la chanson devient le tube que l’on connaît.

La carrière musicale de BB est émaillée de beaucoup d’autres rencontres heureuses. Elles sont moins connues que ses collaborations avec Rivière, Bourgeois et Gainsbourg, mais elles valent la peine d’être mentionnées. L’attache essentielle de Bardot avec la musique est d’ailleurs plus instrumentale qu’humaine puisque c’est sa pratique assidue de la guitare qui fut le ferment de sa carrière de chanteuse. Sacha Distel, ainsi que des musiciens anonymes péruviens et vénézuéliens, sont les premiers à lui transmettre l’amour de cet instrument qui « ne la quittait jamais et qu’elle emmenait partout en voyage avec elle », précise Dominique Choulant. A propos de Sacha Distel, outre une liaison qui a fait couler beaucoup d’encre, les deux artistes ont donné naissance à un duo discographique qui s’est hissé au premier rang des hit-parades en 1973 (Le Soleil de ma vie). D’autres duos célèbres parsèment la carrière de BB, en particulier dans le cadre du cinéma : avec Jeanne Moreau (Ah ! Les p’tites femmes de Paris dans Viva Maria ! de Louis Malle), Guy Marchand (Plaisir d’amour dans Boulevard du rhum de Robert Enrico), ou encore Annie Girardot (Chacun son homme dans Les Novices de Guy Casaril).

La voix de Brigitte Bardot est donc au cœur de nombreux disques, films et shows télé : autant de moments récréatifs pour celle qui considère la chanson comme un refuge, une échappatoire. Le souffle qui sort de sa bouche boudeuse dans un studio d’enregistrement est littéralement pour elle une manière de souffler, et de faire un pas de côté dans le tourbillon infernal de sa vie de star. La musique – mais aussi la danse et certains moments d’intimité amoureuse – est le verso positif et serein d’une médaille dont le recto est dominée par le chaos et le désespoir. On comprend alors pourquoi Dominique Choulant estime que les deux vers qui représentent le mieux la carrière de Brigitte Bardot sont les suivants : « J’irai p’t’être au paradis/Mais dans un train d’enfer. » (Harley Davidon).

Moi je joue, par Brigitte Bardot, texte de Dominique Choulant, documentation et supervision par François Bagnaud (Flammarion, 224 p., 2017).