To read

Un rappel en français pour Jill Barber

Oups, elle l’a refait, encore. Encore!, c’est justement le titre du prochain disque de la sémillante chanteuse jazz canadienne Jill Barber, qui quelque dix ans après le succès monstre de son opus Chansons reprendra le 14 juin la formule de cet album fait de reprises de vieilles chansons françaises.

Et si l’artiste anglophone née en Ontario mais installée à Vancouver voit ce nouvel album comme une continuité de l’effort original, elle n’a pas pris l’exercice à la légère.

Il y a un risque à refouler le même sillon, avoue-t-elle à Qobuz dans une entrevue pratiquement toute livrée en français — de sa propre initiative. Nécessairement il y aura comparaison avec Chansons, qui cumule quelque 110 millions d’écoutes sur les plateformes de streaming et dont la version vinyle en est à sa quatrième réimpression. Mais Jill Barber y a mis le travail nécessaire, une fois de plus accompagnée de son allié Drew Jurecka, réalisateur, arrangeur et aussi polyvalent musicien.

La liste des reprises d’Encore! évoque le grichement de l’aiguille sur la platine et sent bon la vieille pochette en carton des 33 tours — voire des 78 tours! On y retrouve notamment trois fois Charles Trenet (Ménilmontant, La mer, Que reste-t-il de nos amours?), Barbara (Le mal de vivre), Django Reinhardt (Nuages), Georges Moustaki (Les eaux de Mars) et aussi Edith Piaf (Padam Padam) dont le clip a été lancé début avril, sans oublier un choix plus audacieux et contemporain: Robert Charlebois et sa pièce Ordinaire.

Discussion avec Jill Barber. Les propos ont été légèrement modifiés par soucis de clarté.

Qobuz: Vous faites carrière depuis 2002, et Encore! est votre 11e disque, ce n’est pas rien! Quelle place prend-t-il dans votre parcours musical?

Jill Barber : J’ai beaucoup de répertoire maintenant! Encore!, c’est mon troisième album qui est en français. Le premier album en français, Chansons, a vraiment été une belle, belle surprise, et puis pour le deuxième [Entre nous, en 2020], je m’étais lancé le défi d’écrire des chansons en français et j’ai alors travaillé avec une collaboratrice, [Maia Davies]. Je suis très fière de cet album aussi.

Le disque Chansons, c’est donc votre grand succès international. Pourtant ça n’allait pas de soi, comme vous dites.

C’était vraiment un «leap of faith». Comment on dit? Un acte de foi. Ç'a pris un petit peu de courage parce que ce n’est pas ma langue maternelle. C’était vraiment un hommage aux chansons qui m’ont inspirée à apprendre un peu de français. Et pour Encore!, je savais dans ma tête que je voulais retourner sur ce terrain-là, où je pouvais recréer des interprétations de pièces qui m’ont inspirée.

Comment, dans tout le répertoire francophone, choisit-on ces morceaux à reprendre?

C’est vraiment la continuité, c’est une vibe similaire de celle d’il y a dix ans. Et les choix étaient très organiques: ce sont les chansons que j’aime. Moi et mon réalisateur Drew Jurecka on a créé une longue liste des chansons qui m’émeuvent, auxquelles je peux m’associer, des pièces auxquelles je croyais pouvoir faire justice. Mais je reste a very humble anglophone, je ne suis pas francophone.

Qu’est-ce qui vous plaît dans le fait de chanter dans la langue de Molière?

Pour moi c’est vraiment sensuel. C’est une toute autre façon de communiquer. C’est une très belle langue, très poétique. C’est un tout autre instrument pour m’exprimer. Et la musique française me touche d’une façon différente, comme artiste et comme humaine.

Vos parents étaient aussi francophiles? Il y avait de la musique francophone qui jouait dans le salon?

Seulement Édith Piaf. Je me souviens, à l’adolescence, de voir ma mère mettre Piaf sur la chaîne stéreo, mais c’était la seule. Je ne pouvais pas comprendre les mots mais je pouvais comprendre toute l’émotion de Piaf. Et c’est mon espoir envers mon public anglophone. Au fond ce n’est pas important si les gens ne comprennent pas le français, tant qu’ils ressentent l’émotion, ce qui se dégage.

Voici un clip qui met en vedette la jeune Jill, dans des séquences de vidéos tournées par son père dans les années 70 et 80, en Super 8.

Est-ce qu’avec des disques comme Chansons ou Encore!, il faut donc pousser un peu plus sur cette note, souligner davantage les traits?

Oui, je pense que je chante avec beaucoup de passion, et aussi de manière plus vulnérable.

I have to try a lot harder to communicate… l’esprit de la chanson. Sur scène, je dois utiliser tout mon corps aussi.

Comme Piaf!

Elle est ma première professeure.

Ce n’est pas simple de chanter en français pour une anglophone, et vous avez travaillé avec une coach de voix pour l’occasion. Sur quoi avez vous mis l’emphase ?

Ce n’était pas grave d’avoir un accent. Mais c’était vraiment important pour moi de ne pas faire d’erreurs de prononciation parce qu’immédiatement les auditeurs vont dire: non. J’ai dit à ma coach Thérèse [Champagne] que c’était essentiel que tout ce que je dis, que tout ce que je chante, devait être bien compris. Elle était incroyable, ç'a été un grand plaisir de travailler avec elle. Parce qu’elle était très stricte et aussi parce qu’elle était très gentille, très chaleureuse, très encourageante.

Donnez-nous un exemple de difficulté sur laquelle vous avez travaillé…

I mean, c’est très typique, mais la confusion entre les sons «tu» et «tou», c’est une erreur que beaucoup d’anglophones font. Des fois je disais à Thérèse: «j’étais assez proche, n’est ce pas?» Elle disait: «non» (rires). Et puis en en studio j’étais à Toronto et elle était à Vancouver, mais on a travaillé à distance. On lui envoyait chaque chanson, elle écoutait et encerclait les erreurs. Et il y avait beaucoup de cercles à l’encre rouge! On passait chaque ligne with a fine-toothed comb [au peigne fin]. Mais dès qu’il y avait un petit problème on le corrigeait.

On pourrait croire que faire ce genre de disque de reprises est d’une certaine façon plus facile, mais pas tant, donc?

J’étais beaucoup plus fatiguée en fin de journée après les séances de cet album en français [que d’habitude] parce que je dois penser à deux choses: l’émotion, le delivery de la chanson, mais aussi le côté analytique, technique. Les deux parties doivent fonctionner ensemble. Donc c’est très fatiguant. Mais il y a pire métier!

Parlant de votre métier, vous reprenez sur Encore! la pièce Ordinaire de Charlebois, que vous adaptez légèrement à votre main. C’est une pièce plus contemporaine, qui sort du lot, même interprétée en bossa.

Si vous prenez par exemple une chanson de Piaf et la version originale d’Ordinaire de Charlebois, pour moi, c’est vraiment différent, ce ne sont pas les même racines. Mais dans le contexte de l’album, je peux prendre les deux morceaux et les mettre dans le même monde, celui que moi et Drew Jurecka avons créé. Dans nos discussions sur Ordinaire, on trouvait qu’elle avait en elle tous les ingrédients pour vivre avec les vieilles chansons françaises.

Je ne crois pas être un raté sympathique comme disait Charlebois, mais estimez vous être populaire, ou alors ben ordinaire?!

Je ne suis pas une chanteuse très connue comme Charlebois ou Céline Dion, je suis beaucoup plus ordinaire, je crois! Mais comme il est dit dans la chanson, la musique est ma vie. C’est ma passion, c’est ma joie. Et avoir l’opportunité de connecter avec les autres personnes grâce à la musique, c’est un grande privilège, c’est une très belle vie. En ce moment dans ma vie et dans ma carrière, les seules choses que je peux faire, c’est de créer un album dont je suis fier et puis de le lancer dans le monde. Avec l’espoir toujours, que mon public soit présent, et que ça donne un petit peu de beauté dans le monde.

Le public, justement, pourra-t-il vous voir en tournée avec les pièces de Encore! ?

Je vais être à Montréal juste après le lancement et je vais faire quelques festivals de jazz cet été, à Toronto, Halifax, Kaslo, etc. Et à l’automne, je planifie une tournée, j’espère aller à Québec et à Ottawa, et aller en Europe aussi.


Encore!

Jill Barber

Outside Music

Disponible le 14 juin

Photo de la pochette par @rachelpick


À lire également :

- Ce qu’on a retenu de mars 2024 au Québec (par Suzie Veilleux)

- 6 Artistes Autochtones à (re)découvrir (par Philippe Papineau)

- L’heptade d’Harmonium, dernier tome d’une trilogie marquante (par Stéphane Plante)

À écouter :