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Robert Charlebois, le tour de la chanson québécoise en 80 ans

Ambassadeur de la chanson québécoise partout dans le monde, Robert Charlebois n’a jamais hésité à se remettre en question d’un album à l’autre. Il célèbre ses 80 printemps ce 24 juin 2024; voilà l’occasion de faire le tour de son immense carrière!

Charismatique bête de scène, boomer anarchiste(selon ses propres conceptions de l’anarchisme), bouffon iconoclaste… Tous les qualificatifs se sont succédés au fil des ans pour cerner le personnage avec plus ou moins d’exactitude.

Qu’à cela ne tienne! Ce même Charlebois soufflera pas moins de 80 chandelles en ce 24 juin de 2024.

L’évolution de sa carrière c’est aussi en filigrane l’histoire musicale du Québec des 60 dernières années.

Voici une liste de lecture qui retrace ces meilleurs titres ainsi que quelques perles plus obscures.

Mouture chansonnier

En 1965, son premier album, parfois appelé Vol. 1, nous montre un jeune chansonnier bien mis sur la pochette. Quelques pièces détonnent de l’approche plus dépouillée des chansonniers. Le jeune chanteur se permet même une immersion dans le jazz avec Hommage à João Gilberto.

Même si ce n’est pas encore la consécration, son talent de parolier est reconnu avec La boulée et ce premier opus lui fait mériter le titre de Découverte de l’année à l’émission Jeunesse Oblige.

Dès 1966, il publie un deuxième album. Selon ce qu’il affirme en entrevue pour l’émission Charlebois, par-delà Lindberg à Radio-Canada, il détestait ce second long-jeu. Autant pour sa sonorité que sa pochette. Mise à part Chanson pour Mouffe, on y retrouve peu de titres inoubliables.

L’année suivante, Charlebois nous arrive avec le fameux album où on le voit affublé d’un casque de guerre fleuri. Deux chansons importantes de cet album? Demain l’hiver et Marie-Noël. Cette dernière étant écrite par Claude Gauthier. Avec Demain l’hiver, Charlebois intègre le joual tout en secouant la rythmique poétique traditionnelle.

En Californie

Le tournant artistique de Charlebois correspond d’une certaine manière à un virage qui s’effectue dans le paysage musical québécois au même moment. Charlebois se rend en Californie en 1967 pour bien sentir le vent de changement soufflant sur la côte ouest. Un voyage, une quête initiatique, qui le transformera à jamais musicalement.

Lors de son séjour dans le Golden State, il découvre les Byrds, Jefferson Airplane, Mamas and the Papas, les Beach Boys, le Big Brother and the Holding Company (avec une certaine Janis Joplin au chant).

L’année suivante, bien inspiré par ce recadrage du rock américain et son éclatement des formes, Charlebois décide d’adapter son répertoire.

L’osstidcho

Ces expérimentations vont bien sûr se trouver sur l’album Robert Charlebois et Louise Forestier mais c’est surtout sur scène qu’elles prendront leur envol avec la création de L’Osstidcho en mai 1968. Cette prestation hétéroclite entremêle sur scène psychédélisme, monologues, improvisation… et bien sûr, un rock déjanté à souhait!

Lindberg: une crisse de chute en parachute!

S’il est une chanson qui a marqué un avant et un après dans sa carrière déjà prometteuse, c’est bien ce duo complètement disjoncté avec Louise Forestier. Sur ce même album aussi surnommé Lindberg, la liberté de création ne connaît aucune limite. En plus de Lindberg, on y retrouve des joyaux tels que Dolores, California, Engagement.

Après cet album marquant, les hits se succèdent. Sur Québec Love, qui vient clore les années 60, Charlebois propulse des futurs classiques de la trempe de Te v’là, Les ailes d’un ange, Tout écartillé.

Les flamboyantes années 70

La nouvelle décennie n’allait en rien atténuer l’essor de sa carrière. Sur l’album Un gars ben ordinaire, on peut entendre des incontournables tels Miss Pepsi, Madame Bertrand et, une première collaboration avec l’écrivain Réjean Ducharme avec les pièces Mon pays et Le Violent Seul (S’chu Tanné). Sans oublier Ordinaire écrite par Mouffe.

Les pièces de l’album suivant, éponyme mais surnommé Mont Athos, ne regorgent pas d’autant de vers d’oreilles. Même si ses mentors Sabourin et Ducharme lui proposent respectivement les titres Le Mont Athos et Limoilou.

Comme Charlebois ne perd pas de temps en ce début des années 70, il fait paraître un album simplement titré Charlebois en 1972. Ne délaissant pas les explorations dans la forme et les structures, il propose des titres comme Conception et Fu Man Chu.

Toujours sur sa lancée, il nous arrive, dans une verve encore résolument rock, avec Solidaritude en 1973, débordant d’hymnes à tout casser: Cauchemar, Le révolté, Ent’ Deux Joints (écrite par Pierre Bourgault).

La tempête avant le calme…

Rien ne semble freiner son ardeur en studio. Le millésime 1974 nous donne un autre album éponyme où Charlebois démontre un intérêt grandissant pour les rythmes latins. Surtout avec Je rêve avec Rio.

Sur Longue distance de 1976, les hits s’enchaînent toujours à vive allure avec Cartier, The frog song, Mon ami Fidel. Sans oublier l’immortelle Je reviendrai à Montréal.

Toutefois, l’année 1977 est souvent évoquée comme un tournant dans la carrière de Charlebois. Si 1968 est perçu comme un point de bascule vers une incarnation plus rock, plus éclaté, voire révolutionnaire, de son persona, un peu moins d’une décennie plus tard, Charlebois s’adonne davantage aux balades. Exit la folie provocatrice.

Sur la pochette de Swing, on voit l’ex-rockeur s’adonner au golf, sport bourgeois par excellence.

Pourtant, toutes les œuvres de l’époque ne versent pas dans la mièvrerie. L’album Solide s’avère l’ultime complicité avec Réjean Ducharme. La finale de l’album, J’veux d’l’amour, a tout de même connu une certaine pérennité.

POP 80

Charlebois assumera totalement le virage pop des années 80 en renouant avec le succès sur Heureux en amour? de 1981. Et surtout avec Moi, Tarzan, Toi, Jane, fruit d’une première collaboration avec Luc Plamondon.

La complicité avec le célèbre parolier va aboutir à un autre grand tube de Charlebois: J’t’aime comme un fou (Chanson de l’année au Gala de l’ADISQ en 1983). Cet énième album éponyme lui donne aussi le tube Les talons hauts et Consomme, consomme.

Sur Super Position, Charlebois tente, en renouant avec le poète Claude Péloquin, d’entremêler la folie de leurs premières collaborations avec les sonorités en vogue dans la première moitié des années 80. Le succès ne sera pas au rendez-vous malgré que C’est pas physique, c’est électrique a fait son chemin dans les radios.

C’est au cours de cette même décennie que les sorties d’album vont commencer à s’espacer pour Charlebois. Ainsi, il faut attendre 1988 pour l’entendre à nouveau sur Dense.

Les années 90

S’il est moins présent en studio, Robert Charlebois reste tout de même très présent sur scène durant les années 90. Il entame la Maudite Tournée aux 4 coins du Québec.

En 1992, l’album Immensément nous donne l’extrait L’indépendantriste qui sort au cœur des déchirements constitutionnels du Québec post-Meech.

Pas moins de 4 ans séparent Immensément et Le chanteur masqué. Un seul single, Je voulais pas y aller, sera tiré de ce dernier album. Sur le plan des arrangements, ça demeure du Charlebois un brin touffu tirant dans toutes les directions. Le chanteur masqué reste surtout notable pour la participation de plusieurs grosses pointures comme Jean-Jacques Goldman, Lewis Furey, Coluche… et le retour de Réjean Ducharme.

Un Charlebois «nouveau» pour le 21e siècle

Il revient à une approche plus folk flirtant avec le country et l’americana avec son album Doux sauvage en 2001. Véritable retour à un son plus organique, plus chaud. D’autant plus qu’il a écrit la majorité des paroles et musique comme à ses débuts. Ironiquement, il passe à nouveau à la radio avec une pièce nommée Sur les ondes.


Tout est bien

Cet opus du début des années 2010, Tout est bien, est passé un peu inaperçu. Il n’en est pas moins plein de surprises avec un certain retour à des orchestrations ambitieuses. Alors que Battement de cils évoque presque la grandiosité de ses arrangements des années 70, 7 heures du soir se rapproche davantage de ses mélodies des années 80.

On a tout de même encore droit à un Charlebois rêveur, rôdeur, errant au gré du temps.

Et voilà

Charlebois attend 9 ans pour faire paraître Et voilà, au titre semblant récapitulatif. On peut y entendre une collaboration amusante avec Simon Proulx des Trois Accords sur Musique de chambre où les paroles font référence à toutes les pochettes de Charlebois. Un des titres les plus rocks qu’il n’avait pas fait depuis des années.

Sur ce dernier album de nouveauté, Charlebois revient à ses premières amours avec une Fou amoureux de vous, une adaptation française de Can’t Falling In Love With You d’Elvis Presley.

Charlebois à Ducharme

Autre manière de boucler la boucle, le chanteur frisé rend hommage à son ami Ducharme en reprenant les paroles que ce dernier lui avait écrites au fil des ans sur Charlebois à Ducharme.

Prix et récompenses

Tout au long de sa carrière , Charlebois s’est vu remettre de nombreux prix pour souligner son talent. Que ce soit pour le prix de l’Académie Charles Cros ou son intronisation au Panthéon des auteurs compositeurs canadiens en passant par le Félix Hommage remis par l’ADISQ en 1993. Sans oublier qu’il a été décoré de l’Ordre des Arts et Lettres du Québec en 2021.

Toutes ses distinctions pleinement méritées ne l’ont jamais amené toutefois à accrocher sa guitare et Charlebois continue d’émerveiller son public autant sur scène qu’en studio à l’âge vénérable de 80 ans.

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