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Bleubleu et La Noce, entre la beauté et le party

Regard croisé sur deux festivals nés du même désir de faire vibrer les régions

Dans le spectre des festivals de musique que porte l’été québécois, il y a les magnifiques mastodontes de la métropole et de la capitale, mais il y a aussi de nombreux événements plus modestes mais tout aussi magiques, installés plus loin des grands centres. Qobuz vous présente un regard croisé sur deux rassemblements dont les jeunes racines sont en train de s’arrimer solidement dans le coeur des mélomanes, soit La Noce à Saguenay (4 au 6 juillet) et BleuBleu à Carleton-sur-mer, en Gaspésie (21 au 24 juin).

Voici des listes de lecture qui vous aideront à choisir les concerts que vous ne voulez pas manquer à ces festivals.

Les deux festivals ont chacun une personnalité forte et distincte, mais en les superposant, on trouve aussi plusieurs points communs, ne serait-ce que leur âge. La Noce et BleuBleu ont été créés à quelques années d’intervalle — en 2017 pour le premier et en 2019 pour le second — par des expatriés restés bien attachés à leur coin de pays et qui ont une expertise dans l’industrie musicale.

La Noce, d’abord, a été créé par le duo aguerri de la boîte Ambiances Ambiguës, Fred Poulin et Éric Harvey, ainsi qu’avec le musicien Philippe Brach — tous originaires de Saguenay. «Tu peux sortir le gars de Saguenay, mais pas le Saguenay du gars, rigole Fred Poulin, qui a dans le passé travaillé avec plusieurs organisations dont Pop Montréal, les Francos, le Festival international de jazz de Montréal et le Pouzza Fest. Puis l’idée avec La Noce, c’était juste de vouloir utiliser l’expérience que j’ai acquise, de m’en servir pour décoller quelque chose dans ma région, chez nous, pour faire quelque chose de différent qui manquait là-bas.»

Il y a bien des festivals de musique dans la région de Chicoutimi, mais qui programment des artistes qui plaisent davantage à un public large. La Noce ne joue pas dans ce terreau-là, justement, et arrive en complémentarité. Avec, certes, des têtes d’affiche comme Karkwa et Elisapie, mais beaucoup d’artistes disons alternatifs, comme Grimskunk, Le Couleur, Peter Peter et Vice E Roi.

Le BleuBleu, installé dans la magnifique Baie des Chaleurs, a aussi été initié par des travailleuses culturelles très attachées à leur ville de Carleton-sur-mer, Anne-Julie Saint-Laurent, Marianne Boudreau et Myriam Sophie Deslauriers. La municipalité avait longtemps vibré avec le festival Maximum Blues, mais l’événement était alors arrêté depuis plusieurs années.

«Il y avait quand même un espace libre, puis les gens de Carleton c’est des gens qui aiment la musique, c’est des gens qui sont habitués aussi à voir des événements, raconte Myriam Sophie Deslauriers. Et puis à nous trois on avait assez d’expérience dans le milieu pour mettre ça sur pieds.» Les trois amies ont cogné à toutes les portes pour tester l’intérêt de la communauté, ce qui s’est avéré très positif. «À partir de là, on était capable d’aller chercher du financement, des partenaires et des commandites.»

Des décors uniques!

Si La Noce s’installe chaque année sur un site précis — le décor enchanteur de la Pulperie de Chicoutimi, une institution muséale historique — le festival BleuBleu est beaucoup plus décentralisé et installe ses scènes dans des coins pas très conventionnels, comme un «pit» de gravelle, la marina, une cabane de pêcheur ou au sommet du mont Saint-Joseph.

«C’est ce qui fait vraiment l’identité du festival. Pour nous, le territoire de Carleton-sur-mer, c’est magnifique, et c’est ça qu’on essaie de mettre en valeur — c’est un peu la scénographie de nos spectacles, explique Myriam Sophie. Le concept du festival s’est vraiment bâti autour d’où est-ce qu’on fait les spectacles. Et on bâtit aussi la programmation en fonction de ça. Des fois, il y a un artiste qu’on aime beaucoup, mais pour qui on n’est pas capable de trouver un bon espace pour le faire jouer, [un lieu] qui va vraiment mettre en valeur et le territoire et l’artiste.» Dans ce cas-là, on laisse tomber.

Au BleuBleu cet été, il y aura aussi Elisapie, et également Zachary Richard sur le site principal, mais aussi Population II sur une plage, Alix Fern au club nautique et Peanut Butter Sunday à la microbrasserie locale.

La qualité avant la popularité

«En général on a deux têtes d’affiche mais 75% de notre programmation, la majorité des gens de Carleton ne savent pas c’est quoi, on fait beaucoup de la découverte, on fonctionne juste avec des coups de coeur, explique Myriam Sophie Deslauriers. Au fil du temps, j’ai l’impression… bien j’ose espérer que les gens nous font confiance et qu’ils viennent voir des spectacles même s’ils ne savent pas nécessairement c’est quoi.»

Ce rapport de confiance avec le public, il est également cher à Fred Poulin pour La Noce. Il s’est notamment inspiré des Trans Musicales de Rennes, en France, qui attirent des dizaines de milliers de spectateurs grâce à une programmation basée sur la qualité et pas la popularité.

«À La Noce, on a habitué les gens à ce que les concerts qu’on présente, c’est souvent le prochain truc où ça va juste être un esti de bon show. Ça se peut que tu regardes la programmation et que tu connaisses la moitié des gens qui vont jouer, mais sur place, tu vas voir des bons spectacle. C’est ça qu’on a bâti avec nos festivaliers, un sentiment d’appartenance et de confiance.»

Les festivaliers des deux événements musicaux sont à 50% des gens de la place et à 50% des touristes venus d’un peu partout au Québec. Ce qui représente un afflux important pour ces régions respectives mais qui cause certains casse-tête, notamment pour l’hébergement, souvent limité. Les possibilités de croissance restent donc sommaires dans les deux cas — le BleuBleu accueille un total de 5000 personnes en trois jours, alors que La Noce vend 5000 billets par jour.

«C’est jamais quelque chose qu’on a eu comme objectif non plus, note Deslauriers. [On préfère] garder notre identité très très très à échelle humaine, justement, C’est la même raison pourquoi on met quatre ou cinq spectacles par jour maximum. Il y a vraiment quelque chose d’apaisant d’être capable de prendre le temps de juste être là, de profiter du territoire, je pense ça fait partie de l’expérience BleuBleu. »

À La Noce, la qualité de l’expérience des festivaliers est importante, mais différente de celle de l’événement gaspésien. C’est le party qui est au centre de tout, et le festival a bonne réputation en ce sens. « Le défi de la Noce ça va être de garder la hype, si on veut. De se renouveler puis de ne pas s’asseoir sur ce qu’on a fait. De continuer à essayer de faire le plus beau party du monde, comme je dis souvent. C’est vraiment notre vision», indique Fred Poulin, qui se fait par exemple une fierté de toujours servir de la bière froide, et de la servir rapidement.

Reste que de faire vivre un jeune festival hors des grands centres est exigeant financièrement, les deux événements ayant connu des années déficitaires avant de voir poindre l’équilibre budgétaire, un accomplissement fragile.

«Souvent, on va recevoir nos réponses de demande de subvention un mois avant ou même des fois après l’événement, illustre Myriam Sophie Deslauriers. Ça fait que c’est sûr que ça nous place dans une position difficile, parce que autant il faut être responsable autant que nos nos headliners il faut les signer à l’automne», avant de recevoir les montants accordés par les subventionnaires.

Tout coûte aussi plus cher, notent les deux gestionnaires, et il y a des limites à augmenter le prix des billets. Il faut aussi apporter des améliorations à ses équipements, à ses façons de faire, ce qui engendre en général des coûts supplémentaires. «C’est un travail de mathématiques assez intense mais qui doit se faire puis qui est le fun à faire quand même», dit Fred Poulin.

Et ils le font pour de sacrés belles raisons.


Des mariages à La Noce

La fête la plus mémorable d’une vie est bien souvent celle de ses noces. L’équipe du festival La Noce a poussé le concept au fond, et célèbre des vrais et des faux mariages pendant l’événement. «On a un autel avec un célébrant puis un chanteur de noce, et tu peux te marier pour 10 $ en 15 minutes!, raconte Fred Poulin. On en fait 60 à 70 par année, ça se marie à la chaîne. Les spectateurs viennent voir ça, ils sont curieux et c’est très beau. Ça amène vraiment une énergie très peace and love, très amour pendant le festival.»

25% Gaspésien au BleuBleu

L’Équipe du BleuBleu mise sur une importante part d’artistes de la région gaspésienne dans sa programmation, avec un objectif de 25%. «La culture commence à être centralisée beaucoup dans les grands centres, se désole Myriam Sophie Deslauriers. Puis je pense que c’est important aussi de donner une plateforme à nos artistes d’ici, parce qu’il y en a des auteurs-compositeurs-interprètes très talentueux qui viennent de chez nous, qui vivent encore là. On est là pour ça en fait.» Cette année, on pourra notamment entendre Shaina Hayes, Hank Gromelski et Luan Larobina.


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