Il n’aurait pas pu démarrer autrement. Un coup de tonnerre, un crachat par terre, un début d’instru menaçant et l’arrivée tonitruante d’un flow prêt à en découdre. Le nouvel album d’Eminem, intitulé The Death of Slim Shady (Coup De Grâce), est, comme souvent, un vrai film. Le rappeur de Detroit, musicien ayant vendu le plus d’albums au monde entre 1999 et 2009, projette l’auditeur dans des images sonores et des mises en scène en incarnant de nouveau son personnage favori né en 1999 sur le tube My Name Is.
Cette impression de film audio est, en partie, ce qui a fait l’immense succès d’Eminem, ça et sa capacité à entretenir le flou entre sa propre biographie et celle de ses alias, notamment Slim Shady, démon intérieur surgissant toujours salement qui jetait un nombre délirant d’insanités à la face du show-business américain sur le morceau The Real Slim Shady en 2000. Il s’agirait donc, si l’on en croit le titre de ce nouvel album, de tuer l’envahissante excroissance.
Sans cesse, Eminem revient à son côté polémique. La provocation est tellement évidente, tellement grossière, qu’elle finit par brouiller les pistes, entretenant la confusion quant à ses réelles opinions sur la cancel culture, par exemple, ou sur le féminisme, lui qui a été régulièrement accusé de misogynie durant sa carrière.
Et c’est là que ce concept album, qui s’écoute dans l’ordre, insiste son auteur, est intéressant : parce qu’en taillant ostensiblement les aveugles, les malentendants, et tout ce qui ne rentre pas dans une société tout à fait normée, Eminem signe l’arrêt de mort de Slim Shady par la caricature. Un dernier tour de piste pour montrer que ce personnage sulfureux est en fait totalement dépassé, et qu’il est temps d’en finir. C’est chose faite, de façon bien plus habile qu’il n’y paraît.
Au milieu de ce conflit ouvert et intime entre Slim Shady et Marshall Mathers (le vrai nom d’Eminem), il y a la musique. Si The Death of Slim Shady (Coup De Grâce) est un album de rupture assumé, on reste musicalement dans la continuité de la carrière de son auteur. Le rappeur a travaillé essentiellement avec le fidèle Luis Resto, qui l’aide à produire depuis l’album The Eminem Show paru en 2002, et a appelé son mentor de toujours, Dr. Dre, sur le titre Lucifer, qui manie un sample énigmatique et extrêmement bien senti.
On retrouve les productions un brin malaisantes et presque second degré qui habillaient les élucubrations de Slim Shady, avec en point d’orgue le single Houdini, qui annonçait son retour fin mai, avec un beat typique de ses débuts et un clip délirant dans lequel un Eminem aux cheveux bruns combat un Slim Shady blond platine qui a voyagé dans le temps et découvre une époque où il n’a plus sa place. Eminem, lui, montre qu’il a toujours la sienne.