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Labyrinthes, l’exubérant trip de studio de Malajube

C’était il y a 15 ans et des poussières. Malajube revenait sous les feux de la rampe avec un album différent, un troisième album aux tons plus sombres, autant sur le plan des textes que de la musique. Pour la première fois, le groupe avait choisi de créer de nouvelles chansons en studio plutôt que de les roder un bon moment sur scène avant d’aller les enregistrer. On profite de ce 15e anniversaire pour retracer l’évolution du groupe à partir de ses débuts.

«Quand on a commencé, même avant Le compte complet, on était vraiment un band festif. On jouait en bobettes devant nos amis, y’avait des confettis partout. C’est ça, l’ADN de Malajube, notre genèse», remet en contexte le batteur Francis Mineau. «Mais là, pour Labyrinthes, on était rendus plus vieux. On avait 30 ans au lieu de 20. Ça a donné un album plus sombre, qui témoigne de la vie qui passe dans un band. Avec ses hauts et ses bas.»

À la sortie de Labyrinthes en 2009, ça fait déjà près de 20 ans que Francis Mineau joue dans un groupe avec son frère, le chanteur Julien Mineau. La première impulsion de Malajube s’incarne à travers le groupe Wreck. «C’était un groupe avec mon autre cousin Jean-François, un gars qui a joué avec Dany Placard par la suite. On était en secondaire deux-trois, quelque part au début des années 90, et on chantait en anglais. On sortait de l’époque Guns N’Roses, et là, notre affaire, c’était Nirvana. C’est vraiment avec la vague grunge qu’on a eu envie de jouer de la musique. D’un seul coup, c’était possible pour nous de monter un groupe même si on n’était pas des virtuoses. Y’avait une porte d’accès qui s’ouvrait.»

À la fin des années 1990, c’est le hardcore et le emo qui intéressent les deux cousins, dorénavant membres du groupe Lobelia Deckeni. «Pis pendant un été, Julien et moi, on a eu envie de monter un autre band, un peu plus smooth, un peu plus pop. On s’est dit : ‘’Là, on crie pas!’’»

C’est là que naît Étienne d’août. Avant d’être l’une des chansons les plus connues de la formation, Étienne d’août est la première incarnation qui allait devenir Malajube – une incarnation dans lequel on retrouve (en plus des deux cousins Mineau) Mathieu Cournoyer et Rémi Nadeau-Aubin. La première démo du groupe, Tu vas avoir peur, parait en 2002. «Ça a été fait sur un 4 pistes digitales. On a composé quelques-uns des riffs du premier album, comme celui du Jus de citron

Tranquillement, le français commence à s’imposer au sein du groupe. «Mon père nous disait tout le temps : ‘’Pourquoi vous chantez en anglais?’’ On faisait un style musical qui avait beaucoup de références en français. On écoutait beaucoup de Cave In (NDLR : groupe metalcore américain), et pour nous, l’idée de sortir un projet comme ça en français, ça marchait pas. Éventuellement, on a trouvé une manière de le faire, car on se posait de plus en plus la question. Vulgaires Machins a été un déclic pour nous. On a vu qu’ils étaient bons et rapides, qu’ils faisaient de la musique rock et qu’ils chantaient en français!»

En 2003, le nom Malajube finit par s’imposer. «J’étais chez mes parents au téléphone avec Julien. On faisait un brainstorm de noms. Et j’ai aucune idée pourquoi, mais à la fin de cet appel-là, y’avait le nom de Malajube!»

C’est en 2003 que Malajube lance un autre minialbum, Le Robot sexy. Et c’est à cette époque que la réputation festive du groupe commence à se forger. «On faisait des shows dans des appartements, dans des garages. Rémi avait aussi contacté des gens un peu partout au Québec. On arrivait par exemple dans un café-resto, et clairement, y’avait un missmatch de band. On a fait une tournée Montréal-Le Gardeur-Sept-Îles. À Sept-Îles, le gars nous a donné 100$.»

C’est aussi en 2003 que le groupe rencontre Thomas Augustin, qui deviendra un membre officiel de Malajube. Tout est donc en place pour la sortie du Compte complet, un premier album qui paraît en 2004 et qui donnera le coup d’envoi à la carrière du groupe. En quelques mois à peine, Malajube devient la sensation du moment sur la scène locale montréalaise. Et c’est sur scène que Malajube développe les chansons de son deuxième album Trompe-l’œil. «Jammer les mêmes tounes, ça a jamais été notre truc. Les deux premières années de Malajube, on arrivait constamment avec des nouvelles chansons sur scène. On jouait juste tout le temps.»

Ce deuxième album arrive au début de l’année 2006, une année très mémorable pour le groupe. En plus de recevoir une critique élogieuse du magazine américain Pitchfork (qui octroie à Trompe-l’oeil la note de 8,2/10), Malajube remporte cette année-là le prestigieux Félix de la révélation de l’année au Gala de l’ADISQ (ainsi que ceux de l’album alternatif et de la pochette de l’année).

Au tout début de l’année suivante, le groupe donne 19 spectacles en 25 jours aux États-Unis et commence à faire sa marque en France, en assurant la première partie d’Arcade Fire à l’Olympia de Paris, ce qui met la table pour la parution de Trompe-l’oeil en France en mai 2007. Bref, c’est un gros tourbillon que vit la formation, qui s’impose alors comme la sensation rock de l’heure au Québec.

«Mais si tu me demandes mon opinion, j’ai jamais cru que Malajube était un groupe populaire», analyse, très humblement, Francis Mineau. «Oui, on a eu des bons moments, mais on a jamais été big comme La Chicane, par exemple. Pour moi, ça, c’est un band qui a eu un esti de gros succès. Par contre, ce qui est vrai, c’est qu’on avait toujours des shows. Et les gens qui venaient aux shows, ils capotaient.»

Ce tourbillon concorde avec le moment où le chanteur Julien Mineau quitte Montréal pour s’installer en campagne, à Sainte-Ursule (en Mauricie). Un déménagement qui changera la dynamique au sein de Malajube. «D’un seul coup, on jammait moins. On jouait moins pour le plaisir. Les tournées, toutefois, nous permettaient de continuer de jouer régulièrement tous ensemble.»

La création de Labyrinthes se déroule donc en blocs de composition et d’enregistrement en studio plutôt que de manière plus organique au fil des jams spontanés du groupe. Comme ce sont les musiques instrumentales qui arrivent en premier, les explorations sont plus poussées. Tous les musiciens ajoutent leurs idées. «On avait plus confiance en nos moyens. Ce que j’entends, quand je réécoute l’album, ce sont mes deux années de tournées. Y’a plein de fills, plein de patterns de drums différents. Peut-être même que c’est un peu too much…»

La réalisation peaufinée de l’album donne toutefois à ces explorations une cohérence. Labyrinthes est un album au son plus clair, un album qui respire. «Mais personne ne s’est assis avec un plan de match précis», nuance le batteur. «On voulait juste faire ce qu’on pouvait faire de mieux. C’était vraiment dans la continuité de ce qu’on faisait avant. On écoutait encore les mêmes bands… genre CCR pis Converge!»

Même si les membres du groupe n’ont pas l’impression de changer leur son habituel, Labyrinthes se démarque par ses tonalités plus mélancoliques, parfois froides et même glauques. Tout ça, encore une fois, est arrivé sans que les musiciens s’en rendent compte. «Le côté sombre vient probablement de la réalité du band à cette époque-là. Être dans un groupe, c’est comme vivre en couple. C’est une vie en commun, musicalement. Les moins bons moments, ils arrivent souvent quand ça fait un bout que tu évolues ensemble… Disons qu’il y en a dans le groupe qui était plus fatigués que d’autres.»

Les textes s’arriment à cette facture moins festive, en évoquant des thèmes comme la mort, la maladie et la douleur. En fait, Labyrinthes est dédié au père du bassiste Mathieu Cournoyer (Denis), décédé durant la confection du disque. «On était aux Îles-de-la-Madeleine quand il a appris la nouvelle… Il a dû partir pour l’enterrement», se souvient Mineau, avec émotion. «Y’a eu d’autres histoires de maladie, de mort dans nos familles. On a tous vécu ces émotions en commun.»

Labyrinthes parait en magasin le 10 février 2009. Il rafle quelques mois plus tard le Félix de l’album alternatif de l’année. Malajube entreprend une autre grosse tournée de 130 dates, qui culmine avec le spectacle conceptuel Cubes rubiques présenté au Théâtre Maisonneuve en juin 2010.

Le groupe ne fera paraître qu’un autre album (La Caverne, 2011) avant d’entamer une pause qui se poursuit jusqu’à aujourd’hui. Tout comme ses acolytes, Francis Mineau mène différents projets musicaux, notamment celui de son alter ego Musique pour planches, paru en avril dernier.

Même si Malajube n’a pas produit de matériel original en treize ans, son impact est toujours perceptible sur la scène locale - chez des artistes comme Thierry Larose ou blesse, par exemple. «Y’a beaucoup de gens qui me parlent de l’influence de Malajube aujourd’hui. Ça m’a jamais frappé directement, faudrait que j’analyse mieux tout ça… Mais si c’est le cas, c’est tout à notre honneur. Si, tout comme Vulgaires Machins pour nous, on a pu orienter des artistes à chanter en français, j’en suis vraiment fier.»


À écouter également

Quelques projets solo des membres de Malajube, depuis la pause du groupe, ainsi que le projet de Julien Mineau, Fontarabie dont l’unique album est paru en 2014.

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