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Interview - Kiasmos : «  L’ego n’a pas sa place dans un studio »

Après avoir séduit la sphère électronique avec cinq maxis et un premier album paru en 2017 sur le label Erased Tapes, Kiasmos, le duo composé de l’Islandais Ólafur Arnalds et du Féroïen Janus Rasmussen, était un peu en sommeil. Il se réveille en douceur avec ce second album onirique, « II », et on en a profité pour interroger ses deux membres sur leur façon de travailler ensemble.

Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Janus Rasmussen : C’était en 2007, je faisais partie d’un groupe de pop électronique, Bloodgroup, et on jouait souvent dans les salles du centre de Reykjavik. Ólafur était ingénieur du son dans une des salles et il nous a fait le son plusieurs fois. Avec Bloodgroup, on a sorti un album qui nous a emmenés en tournée dans toute l’Islande, et on a pris Olie avec nous. Dans la voiture, sur la route, on a appris à se connaître, on a parlé de techno, de ce qu’on aimait dans les sons du moment. C’est là qu’on a décidé de se poser et de produire des beats techno le weekend.

Comment on sait que ce sera la bonne personne avec qui monter un projet ?

Janus Rasmussen : C’est avant tout une histoire d’amitié, c’est comme ça que ça a commencé, par produire des morceaux de techno, puis aller boire un verre en ville, puis aller en club voir ce qu’il se passait. On était vraiment tous les deux à fond dans la scène clubbing islandaise à l’époque. Et on est devenus amis, on a fait de plus en plus de musique ensemble, puis c’est devenu plus sérieux avec nos premiers EP Looped and Thrown signés chez Erased Tapes. Comme tout, Kiasmos est arrivé naturellement.

Ólafur Arnalds : On vit tous les deux à Reykjavik, à 100 mètres l’un de l’autre en vérité. Notre studio est dans le même quartier. Même quand on ne travaille pas ensemble, on se voit.

Vous partagez la même perspective sur la musique ? C’est quelque chose dont vous discutez ?

Janus Rasmussen : On parle beaucoup de musique entre nous. On a commencé par de la club music parce que ça nous intéressait et qu’on n’avait jamais fait ça auparavant. Olie venait de la scène hardcore/punk il était batteur, moi aussi, je venais plutôt du rock, c’était nos premiers pas dans la musique électronique. On s’est aussi découvert des points communs dans le cinéma, on est tous les deux fans de David Lynch, de BO de film… On est tous les deux très curieux sur l’art en général. Et je pense que les gens seront surpris de l’apprendre, mais on adore tous les deux la pop music ! Encore aujourd’hui, on aime bien parler de chansons pop, par exemple, on aimait beaucoup ce que faisait la chanteuse suédoise Robyn.

Vous sortez votre second album sept ans après le premier. Qu’est-ce qui a pris autant de temps ?

Janus Rasmussen : La discussion était toujours là, il y avait toujours l’idée de faire cet album. Le plan était de sortir le second rapidement après le premier, mais on n’a jamais ressenti de pression, en tout cas pas de notre côté. Je crois que le label et nos managers s’impatientaient un peu, mais bon, pour nous, il n’y a jamais eu de soucis, On savait que ça viendrait quand ça viendrait, et c’est ce qui s’est passé.

Vous avez enregistré cet album à Bali, comment ça s’est passé pour vous de l’autre côté du monde ?

Ólafur Arnalds : En partie oui, on a composé quatre chansons. C’était au pic de la pandémie, ça nous a pris beaucoup de temps pour aller là-bas, et on y est restés pendant six semaines. On n’avait rien d’autre à faire que de la musique, ça nous a beaucoup aidés en termes d’inspiration, et ça nous a permis d’avoir une approche un peu différente de l’écriture – évidemment, ce n’est pas pareil qu’en Islande.

Janus Rasmussen : Bali a ouvert la porte à de nouvelles chansons, A partir de là, il nous a fallu encore deux ans et c’était prêt.

Comment ça marche entre vous en studio ? Qui fait quoi ?

Janus Rasmussen : Il n’y a pas vraiment de règles. Olie est clairement le meilleur au clavier de nous deux, et je m’occupe peut-être plus des beats, mais ce n’est pas fixe. On compose les chansons ensemble, on partage les idées. C’est arrivé quelques fois que j’ai un beat de prêt et que Olie ait une progression harmonique déjà prête ; on les assemble puis on travaille sur la chanson et on la finit vite. C’est arrivé sur les titres Flown et Sailed. Mais c’est rarement aussi rapide. Souvent, on aime bien voir ce qu’il se passe en studio.

Vous avez une conception claire de ce que devrait être le son de Kiasmos ?

Ólafur Arnalds : Oui, d’une certaine façon, mais on n’essaye de ne pas y être trop attachés. Je pense qu’il y a un ethos derrière qu’on veut garder en permanence, qui est de faire de la musique avec des sentiments, que ce soit mélodique. Mais le style, ça peut être n’importe quoi. Tant que c’est mélodique, dansable, un peu fun, c’est le plus important.

Janus Rasmussen : On essaye de toujours faire en sorte que ce soit intéressant musicalement.

Vous vous remettez beaucoup en question ?

Ólafur Arnalds : Oui absolument, le challenge, c’est d’essayer de ne pas se répéter tout en restant plus ou moins dans les mêmes limites.

C’est plus facile de challenger des idées quand ce ne sont pas les siennes ?

Ólafur Arnalds : C’est plus facile de remettre en question les autres que soi-même, c’est vrai. (Rire).

Janus Rasmussen : Même si on n’est pas d’accord sur tout, il y a toujours quelque chose de plus grand qui émerge quand tu trouves ce terrain d’entente. C’est toujours mieux que d’être assis tout seul.

C’est plus simple de mettre son ego de côté quand on est amis ?

Ólafur Arnalds : Je ne trouve pas ça difficile, c’est juste de la musique. Quand tu mets trop d’ego dans la musique, c’est là que commencent les problèmes. (Rire.)

Janus Rasmussen : C’est quelque chose que tu apprends très tôt quand tu produis de la musique, c’est que l’ego n’a pas sa place dans un studio.

Vous avez parfois de profonds désaccords sur une chanson ?

Janus Rasmussen : On n’a pas vraiment de désaccords mais on a clairement nos préférences. Parfois, tu es surinvesti dans une chanson parce qu’elle résonne beaucoup en toi à ce moment-là, donc il faut la laisser reposer pendant quelques semaines avant d’y revenir. Généralement, tu es beaucoup plus d’accord avec l’autre après ça.

Quelle est la chose que vous préférez chez l’autre musicalement ?

Ólafur Arnalds : Ce qui m’aide beaucoup quand on travaille ensemble en studio, c’est quand Jan vient avec des grooves. Ce sont juste des grooves mais il est super bon pour faire ça. Et même si la chanson va parfois dans une direction complètement différente, il a toujours un bon début de chanson, ce qui te met le pied à l’étrier pour la suite. C’est une inspiration pour aller quelque part.

Janus Rasmussen : J’estime que Olie est un maître dans la façon de raconter une histoire avec sa musique. La façon dont il est capable de concevoir à 100 % une idée, particulièrement dans les arrangements – ce qui est le plus important, parce qu’il n’y a pas de chanson sans un arc narratif. Pour moi, c’est super fun de travailler avec quelqu’un qui a un sens du storytelling aussi développé.