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Interview - Boombass/Cassius : « Il a fallu que ça cicatrise vraiment »

Cinq ans après la mort soudaine de son binôme Philippe Zdar, Hubert Blanc-Francard alias Boombass sort un best of des 25 ans de carrière de Cassius, groupe phare de la French Touch. Il nous raconte sa remontée vers la lumière et ses idées pour le Cassius du futur.

Cassius 2024 © Roberto Frankenberg

Après la mort de Zdar en 2019, tu t’es retranché en Normandie. Où en es-tu aujourd’hui ?

Il y a eu cinq ans un peu compliqués. Il a fallu que je quitte mon appartement à Paris et je me suis retrouvé à Trouville où mon père avait un deux-pièces. Et j’ai fait deux ans vraiment de vie face à la mer. Ce n’était pas facile, mais par contre, c’était, je pense, nécessaire. Je me suis écouté, je me suis laissé porter par les événements. Et ça m’a remis d’équerre. J’avais besoin de faire un genre de reset, Aujourd’hui, je suis surtout à Paris, parce que la Normandie, c’est un peu loin de tout pour un DJ et j’ai besoin de l’activité urbaine, finalement.

Il y a eu des hauts et des bas ?

Ouais. J’ai découvert une solitude « naturelle », je connaissais quelques personnes mais j’avais l’impression d’être tout seul dans une ville qui n’était pas la mienne, avec très peu de mes affaires. Et en même temps, c’est une super expérience.

C’est inspirant Trouville, en termes de composition musicale ?

J’ai fait un peu de musique, mais bizarrement, avec la vue de la mer, tu te dis que tu vas faire des choses de fou mais en fait pas du tout – que de la merde, vraiment ! Ce serait plus inspirant pour écrire peut-être. Mais je pense que ce n’est pas lié forcément à ça. Je crois qu’il faut vivre des choses pour avoir quelque chose à dire en musique. Là, j’étais dans une période de nettoyage, un genre de purge. Mais une purge des 50 dernières années, presque. Ce n’était pas que lié à Philippe, c’était un ensemble de choses qui a été accéléré par sa disparition. Et j’ai vécu ça comme un grand bilan, un grand rangement.

Il y a eu des changements concrets dans ta vie ?

Ouais, il y a eu des grands changements. Maintenant, je dis tout ce que j’ai à dire. Dans l’intimité ou dans l’amitié, je ne laisse plus rien traîner, du coup, je suis beaucoup mieux dans mes pompes. Avant, je ne savais pas dire les choses, c’était un vrai frein dans la vie. Et ça, c’est réglé, c’est parti. Après un gros chaos, là, je suis hyper en paix. Et bien dans mes pompes. C’est difficile d’être bien toute ta vie, mais il y a une période où, voilà, c’est à l’équilibre. Et du coup, plein de choses se déclenchent.

Et c’est cette nouvelle énergie qui a relancé Cassius dans ta tête.

Tout à coup, ça m’a manqué terriblement notre histoire. C’était quand même un long moment de ma vie. Au bout de cinq ans, il y a un truc qui m’excite à le faire. Parce que ça s’est terminé d’une façon assez brutale, juste avant la sortie du dernier album (Dreems en 2019). Ce n’est pas comme une séparation de groupe, c’est la vie qui a décidé. Tout s’est arrêté là, en fait. Sur le moment, c’était le dernier de mes problèmes. Et puis après, plus le temps est passé, plus je me suis dit : il y a peut-être un truc à faire. Puisque la musique est encore là, le nom et l’histoire sont encore là. Il fallait faire quelque chose, au moins célébrer ces 25 années.

Et puis ces derniers mois, j’ai tourné avec DJ Falcon et Etienne de Crécy, on faisait des DJ sets à trois. Et là, j’ai retrouvé plein de choses, mais d’une nouvelle manière. Je n’étais plus tout seul. Parce que c’est tellement dans ma nature. Autant je peux être solitaire deux jours chez moi, mais pour la musique, je n’ai jamais fait ça tout seul, vraiment. J’ai toujours été avec Philippe, J’ai toujours été plusieurs. Et là, j’ai retrouvé ce truc et j’ai aussi réalisé, par tous nos voyages, la cote incroyable d’amour que gardaient la French Touch et Cassius. J’étais vraiment surpris de voir une génération de gens qui devaient avoir 10 ans lors de la sortie du premier album venir me remercier. Alors je me suis dit que j’avais peut-être un truc beau à vivre.

Qu’est-ce qui te bloquait avant ?

Avant, je me sentais un peu comme un veuf qui ne voudrait pas ressortir avec quelqu’un. C’était trop douloureux. Je me sentais incapable de représenter notre histoire à deux, tout seul. Il a fallu que ça cicatrise vraiment. Et maintenant, je vis avec une cicatrice, des fois ça tire, mais ça y est, je peux en parler, c’est cool. Tout ça est beau. Je suis en paix avec plein de trucs, donc c’était le moment ou jamais. Et depuis que j’ai lancé ça, entre février et mars, il s’est passé plein de trucs incroyables, entre la cérémonie des JO, le docu sur DJ Mehdi qui repositionne aussi l’histoire de Cassius

Tout s’est aligné.

Exactement. On dirait un plan marketing de génie élaboré dans un bureau mais en fait, il n’y a rien du tout. Je suis arrivé et les dominos se sont alignés. Et là, par hasard, j’ai trouvé un appart dans le 18e, entre le cimetière, le studio et là où on traînait. C’est génial.

Qu’est-ce que tu voulais exprimer avec cette collection de morceaux ?

Avec Philippe, on a toujours aimé l’idée du best of. On a découvert plein d’artistes en achetant des best of à l’époque où il n’y avait pas de streaming. On voulait en faire un, mais à chaque fois, on faisait un nouvel album. Les titres, ce sont les gens autour de Cassius qui les ont choisis et quand j’ai écouté la sélection, j’ai trippé sur toutes les directions que ça prend musicalement. Finalement, ça résume bien notre façon de faire et j’étais content de constater que notre son vieillissait bien.

Ce qu’on entend aussi à travers cette compilation, c’est que Cassius était un groupe en mouvement.

C’est vrai. On prenait pas mal de temps entre chaque album, Philippe avait ses projets avec Phoenix, moi, je faisais plein d’expériences musicalement de mon côté, ce qui fait qu’à chaque fois, on progressait, on ne restait jamais figés dans le même truc. On n’a jamais voulu faire un deuxième Toop Toop ou un deuxième 99. On avait envie que ça marche, mais en même temps, on voulait prendre des risques, quitte à ce que ça ne marche pas.

Quelle était la principale qualité de Zdar en studio ?

Son énergie hyperactive, qui était épuisante dans la vie normale mais qui faisait naître un truc en studio. Il savait mettre les gens en confiance autour de lui et il savait diriger les musiciens, avec un instinct de producteur. Parce que, l’air de rien, ça se dirige des musiciens, même si ce n’est pas musicalement, ça se dirige psychologiquement. Tu ne peux pas laisser complètement faire. Il faut une énergie de chef de bande, et Philippe avait ce côté-là dans la vie et il le transmettait dans le studio. C’était vraiment le mec dont tu avais besoin pour travailler sans réfléchir.

Comment tu imagines la suite de Cassius sans Philippe ?

Je ne sais pas du tout ce que je vais faire. Je pense que je vais laisser les choses se faire, comme je fais maintenant. Je commence à avoir pas mal de contacts et je voudrais m’entourer de gens de toutes générations, j’ai vraiment envie de partager. De réunir des gens et de capter des moments courts, sans passer dix plombes à faire des trucs. Les premiers jets, les premières heures, c’est là où tout se passe.

Quels sont tes projets du moment ?

Là, je repars dans le circuit DJ au moins jusqu’à début 2025. Et après, pour la musique, je vais laisser faire les trucs, Ce ne sera pas un album de Cassius, ce sera plus des aventures. Et peut-être qu’après, il y aura une rencontre qui permettra d’imaginer le Cassius du futur, où je pourrais me dire qu’il y a un album à faire, à trois, à quatre, je ne sais pas. Mais l’influence de Philippe sera toujours là. On a tellement bossé ensemble que maintenant, je m’en rends compte, il y a toujours un moment où j’imagine ce qu’il me dirait.