D’entrée de jeu, Luc Brien, chanteur-guitariste et cofondateur du groupe, m’avise qu’il ne pourra pas trop me divulguer les petits secrets de l’album à venir: «le pacing final est pas fait. J’ai pas l’droit de dire le titre encore.»
Qu’à cela ne tienne! Avec 25 ans d’existence, la troupe de joyeux drilles rock ‘n’ roll n’est jamais à bout d’anecdotes.
«Non… Faîtes un album!»
Si on ne peut aborder les détails de l’album en devenir, on peut tout de même jaser du single paru ce printemps, Les pieds chez toi. Ne serait-ce que pour savoir s’il est représentatif des autres chansons à venir. Luc Brien précise: «Cette chanson-là était déjà prête avant qu’on enregistre l’album. On sortait des singles en se disant que c’était pas compliqué. On a dit à notre label Bonsound qu’on avait un nouveau single et ils ont dit « Non… Faîtes un album! »»
En vue de cet album «légèrement psychédélique»(dixit Luc Brien), le groupe a opté pour une approche moins linéaire dans la structure des chansons: «On s’est forcé pour pas toujours revenir avec le même mood. Le pacing va être compliqué! (Rires)»
«Pourquoi tu veux absolument une fille?»
Impossible de passer à côté du départ de Suzie McLelove, cofondatrice des Breastfeeders. «Après presque 25 ans, elle avait envie de faire autre chose», souligne Luc Brien.
Toutefois, les voix féminines ne seront pas absentes du répertoire du groupe: «J’avais déjà des tounes destinées à une chanteuse. C’est une de nos bonnes amies qui va la remplacer, Karine Isabel. Elle a déjà remplacé Suzie quelques fois. C’est une fille de la famille.»
Pour le band, il était essentiel de préserver une présence féminine: «On m’a posé la question: « Pourquoi tu veux absolument une fille dans ton band? » Ça a toujours été la signature du band.»
«Ça existe toujours votre band?»
Au cours de leur quart de siècle d’existence, les hauts et les bas de la vie de band n’ont jamais amoindri son enthousiasme: «On s’est jamais rendu à un stade où on s’est dit « On lâche toute, ça sert pu à rien. »» Et ce, même à travers les départs d’éléments importants.
Un des changements personnels les plus importants s’est manifesté en 2011 après la sortie de Dans la gueule des jours: Sunny Duval a quitté le groupe. «C’est un guitariste hyper-polyvalent. Je pense qu’après trois albums avec un groupe qui veut pas nécessairement révolutionner quoique ce soit… Il avait fait le tour.»
Remplacer ce complice de la première heure ne fut pas de tout repos: «tous les guitaristes qu’on trouvait bons trouvaient que c’était une trop grosse pointure à chausser.»
S’en est suivi quelques millésimes moins actifs: «De 2013 à 2018, On faisait plus rien de nouveau mais on continuait à se faire booker de temps en temps. On nous demandait: « Ça existe toujours votre band? »»
Heureusement, autour de 2018, un guitariste permanent fut trouvé en la personne de David Deïas. Quant au batteur Max Hébert, même s’il assure la cadence depuis 2013, il n’a jamais enregistré d’album avec le groupe. «Ces deux « jeunes » nous ont pas mal poussé dans l’cul parce qu’ils avaient le goût de faire quelque chose alors que nous, les vieux, on était un peu assis sur nos lauriers.»
«J’ai quasiment peur d’écrire tout seul…»
De nouveaux joueurs s’ajoutent pour en remplacer d’autres mais le tandem d’écriture Luc Brien-Johnny Maldoror pond encore la majorité des paroles:
«On se mélange bien Johnny et moi. J’ai quasiment peur d’écrire tout seul. On dirait qu’on se valide l’un et l’autre. Ça donne quelque chose auquel on n’aurait pas pensé tout seul chacun de notre côté. Ça fait quelques années qu’on se rappelle plus qui a pensé à telle ou telle phrase!»
«On était jeunes. On avait le feu au cul!»
Et la dynamique en studio depuis les balbutiements des Breastfeeders? A-t-elle évolué depuis 25 ans? La question amène le chanteur a faire un retour sur la discographie du groupe.
«Ça n’a pas nécessairement changé. Pour le dernier album, on est allés vers une sorte de retour aux sources. Notre premier album, Déjeuner sur l’herbe, on l’a fait live sur un deux pistes. Avec ma voix live. C’est notre album le plus apprécié à ce jour. C’est l’album dont le monde me parle le plus.»
Luc Brien se remémore la frénésie qui régnait quand est venu le temps d’immortaliser en studio leur répertoire déjà bien rodé en show: «On était jeunes. On avait le feu au cul! Michel Dagenais, qui nous produisait, nous disait d’aller moins vite. On lui disait « C’est nous autres! On joue vite! »»
Cette effervescence s’est perpétuée avec Le matin des grands soirs: «on voulait que ça représente encore plus ce qu’on faisait en show. La pédale dans l’tapis!»
Après deux joyaux à fond la caisse, les Breasts décident de rebrasser les cartes sur Dans la gueule des jours: «J’étais tanné de me faire taxer de rétro, sixties, garage… Je voulais être un peu plus contemporain. Finalement c’est l’album dont on ne nous parle jamais. (Rires)»
«On est des p’tits tannants…»
Ceux qui les ont vus sur scène savent à quel point la réputation des Breastfeeders d’être un groupe de party ne relève pas de la légende urbaine. Et le party se continuait parfois longtemps après la dernière chanson. Est-ce toujours le cas?
«C’est sûr que j’ai plus 20 ans. Quand on était plus jeunes, nos tournées étaient longues et tous les soirs c’était la défonce. On était capables de jouer le lendemain. On fumait comme des cochons. Aujourd’hui, il ne faut pas que je me couche trop tard parce que ma voix ne me suivra pas.»
Mais, comme il faut bien vivre à la hauteur de sa réputation, la tentation de s’assagir prend rapidement le bord: «J’ai déjà dit à Joe, le bassiste: « Ce soir on n’est peut-être pas obligés de faire le party. On a quand même un show important demain… » Il est parti à rire. On est des petits tannants.»
«Au début des années 2000, Montréal a explosé…»
En tant que témoin de la scène montréalaise depuis le tournant du 21e siècle, le chanteur en a observé les tendances.
«Au début des années 2000, Montréal a explosé. Y avait des groupes partout. Rapidement, ça a eu une portée internationale. Il y avait des groupes anglophones comme Arcade Fire, des groupes innovateurs comme Malajube. Karkwa avait une bonne résonance en France. Il n’y avait pas de «son» de Montréal. Tout le monde était différent.»
«La plupart des gens sont toujours dans la représentation d’eux-mêmes…»
Non seulement la scène montréalaise a changé avec la venue de nouveaux groupes, mais les structures médiatiques rapportant ses faits et gestes se sont vues grandement métamorphosées. Comme le rapporte Luc Brien: «les journaux imprimés comme Voir ou Ici ont disparu. À l’époque on était vraiment renseignés sur ce qui se passait en ville. Aujourd’hui, ce sont les algorithmes qui nous renseignent.»
Cette réflexion entraîne alors le musicien à y aller d’une envolée critique sur les médias sociaux:
«Je trouve ça moins intéressant. Avant 2010, si tu avais un projet musical, c’était des journalistes qui en parlaient. Aujourd’hui, tu parles toi-même de ce que tu fais sinon personne en parle. C’est rendu normal de parler de soi. Tandis que dans les années 90, parler de soi-même c’était très mal vu. Tandis que maintenant, la plupart des gens sont toujours dans la représentation d’eux-mêmes.»
«Ça va être difficile de jouer après vous!»
Parmi les beaux souvenirs vécus par les Breastfeeders, on retrouve les rencontres avec des héros lorsqu’ils ont eu la chance de jouer avec certains d’entre eux: «Les Sonics, c’était quand même cool. Lorsqu’on est sortis de scène, le saxophoniste (Rob Lind) est venu me dire « Bon show! Ça va être difficile de jouer après vous! »»
En plus des Sonics, pionniers du garage américain, les Sinners, pionniers du garage d’ici, ont aussi enchanté Luc Brien lors du spectacle Outrage aux Sinners, présenté au Coup de coeur francophone en 2002 : «J’avais beaucoup trippé avec eux. Plein de monde faisait les tounes des Sinners. J’ai fumé un joint avec les actrices du film Kid Sentiment.»
Sur la route
Et l’aventure continue avec des spectacles prévus dans plusieurs régions du Québec. Pour l’été, les Breastfeeders feront le plein d’énergie pour mieux exploser à l’automne lors de la sortie de leur quatrième album.
On consulte le site de leur label Bonsound pour plus d’informations.
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