L’étiquette de disques Audiogram a soufflé cet automne ses 40 bougies, une étape digne de mention dans une industrie où un tour de Supermanège à La Ronde représente l’équivalent d’un petit lundi au bureau. Les sonorités ont changé, comme les modes et les supports sur lesquels la musique voyage, mais le vaisseau mis à l’eau par Michel Bélanger en 1984 continue de voguer, et joliment.
On a regroupé plusieurs classiques de l’étiquette dans une seule liste de lecture.
C’est un disque vinyle de Paul Piché, Nouvelles d’Europe — qui contient le titre Cochez oui, cochez non —, qui a été le premier à y être lancé. Avec le code officiel AD-801. Suivra deux ans après un intégral double de Piché, l’album The Disque de Rock et Belles Oreilles (et oui!), et le disque Miss Kalabash d’un Jim Corcoran déjà établi.
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513. Au moment où ces lignes étaient écrites, Audiogram avait mis au monde 513 albums. Et l’alignement de la maison compte quelques uns des piliers de la musique québécoise, dont Daniel Bélanger — le petit frère du fondateur —, Michel Rivard, Jean Leloup, Richard Séguin et Pierre Lapointe, sans oublier Ariane Moffatt, Mara Tremblay et Isabelle Boulay. Et il y a aussi du sang neuf, de Marilyne Léonard à Beyries en passant par le groupe comment debord et Aliocha.
Pour discuter de l’ADN de cette vénérable institution, Qobuz s’est entretenu avec le directeur général Philippe Archambault. Son père Rosaire, qui possédait les magasins Archambault et le distributeur Sélect, a été actionnaire des premières heures d’Audiogram. Fait important, l’étiquette est passée en 2021 sous l’égide de Québecor.
Qobuz: Au 30e anniversaire d’Audigoram, vous aviez lancé un disque triple de 30 chansons avec autant d’artistes pour marquer le coup — et ç'avait marché. Dix ans plus tard, vous y allez de manière plus modeste non?
Philippe Archambault : Le 30e, avec du recul, c’était un immense projet qui nous a pris énormément de temps, mais qui est un leg fabuleux. Sur YouTube, on a fait une chaîne du 30e et les vidéos, ça a été vraiment un gros hit, mais ça a été beaucoup de travail et d’efforts. Puis le 40e, on voulait le traiter autrement, peut-être un peu plus sobrement. Puis il y a aussi le fait que ce n’est plus la compagnie de Michel Bélanger — le projet du 30e, c’est un projet de production artistique, de direction artistique.
Q: Pour souligner cette quatrième décennie, vous avez inauguré vos nouveaux bureaux, où sont installés 40 cadres en forme de parcours historiques, qui mettent en lumière vos racines et vos bons coups — comme les 58 disques d’or. Ça montre l’étendue de votre catalogue!
Audiogram, c’est vraiment ça, c’est le passé, le présent et l’avenir. Puis c’est la mixité du catalogue, c’est la mixité des genres, la mixité des âges. On regarde toujours dans le rétroviseur mais pour mieux regarder en avant. Ç'a toujours été un peu le leitmotiv de Michel Bélanger, c’est-à-dire la pérennité des carrières, et d’accompagner les artistes le plus longtemps possible.
Le catalogue, le patrimoine culturel que ça implique, ça vient aussi avec une responsabilité, c’est gros. Mais c’est aussi une chance d’avoir ce catalogue-là, et que ça soit encore d’actualité. On le voit en streaming.
Q: Qu’est-ce que vous voulez dire par là? Quel est le lien?
L’écoute sur les plateformes c’est beaucoup une business de catalogue. La majorité des écoutes, c’est du monde qui écoute leurs vieux succès, leurs tounes nostalgiques, il y a de la nostalgie là-dedans. Alors c’est une chance d’avoir un catalogue qui — excusez-moi l’anglicisme — drive autant. Ça fait en sorte qu’on n’est pas toujours nécessairement axé sur une rentabilité à court terme, et ça nous permet d’avoir les moyens pour faire beaucoup d’autres projets.
Q: Donc le passé d’Audiogram permet son futur, si on résume ?
En tout cas ça nous aide, parce qu’on a investi quand même beaucoup dans le futur, dans les nouveaux artistes, dans les nouveaux auteurs-compositeurs. Par exemple Aliosha, qui a quatre nominations au Gala de l’ADISQ, ou Choses sauvages, qui vient de lancer une nouvelle chanson. On travaille autant avec Isabelle Boulay que comment debord, c’est une des forces du label.
Q: Est-ce que ce n’est pas tentant de simplement de surfer sur ce qui marche, sur les acquis en quelque sorte?
Il y a toujours eu quelque chose qui est arrivé qui a fait en sorte qu’on ouvre sur une nouvelle génération. Par exemple Ariane Moffatt et Pierre Lapointe au début des années 2000. Ç'a été comme le renouveau après 20 ans, disons. Mais à tous les 10 ans, il y a comme un retour du balancier.
Mais on ne s’assoit pas non plus sur ce succès-là et on continue toujours à faire ce qu’on aime faire et ce qu’on fait de bien. C’est-à-dire d’accompagner et de découvrir des artistes. C’est ça qui a fait la marque. On va encore aux Francouvertes. On va encore au Festival de la chanson de Granby. On va rencontrer les artistes et essayer de trouver des nouveaux talents. Il y a eu des phases où on était trop confortable, trop assis à attendre les démos. Ce n’est pas de même que ça marche. Tu as des grosses boîtes, tu as des nouveaux labels. La compétition est forte.
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Q: Reste que les nouveaux artistes vendent peu de disques, quelques vinyles peut-être. Ça doit être pris en considération dans le modèle d’affaire, non?
Avec les années, on a eu le vinyle, la cassette, le CD, le téléchargement brièvement, puis après ça l’écoute en continue sur les plateformes. On doit parler d’adaptabilité. En ce moment, on est à un point tournant avec le streaming, on a un 8 à 10% d’augmentation des écoutes annuellement. Ça me permet de regarder dans le futur. Si la tendance se maintient, si on est capable de perdurer et de continuer, dans une couple d’années je pense qu’on va être correct.
Q: Vous qui vous êtes frotté à la politique notamment en tant que chef de cabinet adjoint et directeur des communications pour certains ministres québécois, est-ce que la solution à la crise de l’industrie de la musique peut venir du politique?
Personnellement, j’ai bon espoir que le projet de loi fédéral C-11 fasse des petits éventuellement [NDLR: cette loi vise entre autres à obliger les plateformes numériques telles que Netflix et YouTube à promouvoir le contenu canadien et à y contribuer]. On va voir comment ça va se matérialiser, mais de ce côté-là, j’ai bon espoir. Il faudra aussi revoir les royautés pour les ayants-droits, donc pour les artistes, en repensant la Loi sur le droit d’auteur.
Trois disques de Daniel Bélanger se retrouvent dans le top-10 : Les insomniaques s’amusent, Rêver mieux et Quatre saisons dans le désordre.
Q: Parlons de Québecor en terminant. Le choix de Michel Bélanger de vendre Audiogram à cet empire médiatique a-t-il fait grincer des dents dans la boîte?
Ils sont polarisants... Quand j’ai annoncé aux artistes qu’on vendait à Québecor, j’ai eu un tiers qui ne voulait pas me parler le jour même, qui avait besoin de temps. J’ai eu un tiers qui était comme : « Ah, ok, est-ce que l’équipe reste la même? Ouais? Ok, bon, pas de trouble. » J’ai eu un tiers qui était comme « Ah, wow, c’est cool!». Je me suis concentré sur le tiers qui était un peu plus réfractaire. La majorité d’entre eux étaient là à notre événement anniversaire.
On va le dire, leur mot, c’est la convergence. Mais Québecor a quand même une très belle infrastructure culturelle. Puis honnêtement, ça va faire quatre ans au mois de février, et la transition, pour moi, est au-dessus de mes espérances. En fait, ils nous font confiance, puis ils nous laissent 100% le contrôle de nos choses.
En chiffres
Audiogram c’est :
513 albums mis en marché
Plus de 12 millions d’albums vendus au Canada et à l’étranger
Plus de 1,5 milliards de streams
Près de 250 000 billets de spectacles vendus
6 albums certifiés Disque Double Platine
203 trophées Félix à l’ADISQ, dont 135 artistiques
9 prix Junos
1 prix Polaris