Après Drift et .dev, tu sors ton troisième album en cinq ans, un bon rythme de sorties, alors que tu avais laissé huit ans s’écouler après Impermanence, ton album de 2011.
J’avais mis beaucoup de temps après Impermanence. Il s’était passé pas mal de choses dans ma vie privée. J’avais divorcé, j’avais déménagé d’Italie, puis j’ai eu l’acclimatation avec Paris. J’ai vraiment adoré mes années à Paris. J’avais récupéré le studio de Mirwais. C’était vraiment des années magiques, pour moi un Lyonnais. J’avais été pris en main par Brigitte Maccioni, une femme extraordinaire qui est devenue ma manageuse pendant ces sept ans qui ont un peu changé ma vie.
C’est une période durant laquelle tu t’es un peu éloigné du circuit DJ classique dans les clubs et festivals pour devenir un artiste plus accompli, plus multifacette ?
Oui, « l’opération » s’est déroulée pendant cette période-là. Très souvent, les gens te disent : il faut que tu te concentres sur un domaine d’activité si tu veux réussir, sur une seule discipline. Et je pense que c’est tellement un mensonge, en tout cas me concernant. Moi, j’ai été très inspiré aussi bien par l’art contemporain, par le cinéma, par la technologie, par la science. Si j’avais été uniquement focus dans la musique club DJ dance, peut-être que ça aurait cartonné encore plus, je n’en ai aucune idée. Mais en tout cas, je me sens beaucoup plus moi aujourd’hui que si j’étais resté à faire le DJ en after ou à Ibiza. Ce sont des choix de vie, et je me retrouve beaucoup plus dans cette fusion de plein de disciplines.
Il a fallu te créer une nouvelle image ?
Je ne suis pas un artiste facile à marketer. Mes albums sont parfois très différents les uns des autres parce que j’ai des envies, des inspirations, et je me sens libre en fait. Ce qui n’est pas du tout bon pour les algorithmes, par exemple. Ils ne savent pas qui je suis, ce que j’aime. Un jour, je peux faire un morceau de techno, le lendemain un morceau de trip hop, mais ça reste moi. On a souvent l’habitude de réduire l’artiste à une étiquette et je suis un peu l’antithèse de ça.
D’où te vient cette curiosité pour différentes disciplines ?
J’ai grandi dans un cocon familial très ouvert. Ma mère était chanteuse d’opéra, mon père était un architecte, un grand mélomane. J’ai vécu dans une maison bulle, une maison ronde, comme les Barbapapa. Il n’y avait pas d’angle droit, donc déjà, je n’étais pas très formaté pour aller dans le côté algorithmique. Je pense qu’il y a certains artistes qui se moulent bien dans ce monde basé sur la fame, mais pour celles et ceux qui préfèrent passer du temps en studio, c’est plus compliqué. Aujourd’hui, si on écoute les gens, il faut qu’on poste trois fois par semaine, faire des stories, des Reels. Tout est paramétré pour que le succès, peut-être, intervienne un jour, tout ça sans parler d’art. Est-ce qu’on a vraiment besoin de faire ça ?
Ton public, tu l’identifies ou pas ? Tu le vois revenir ou il a beaucoup changé ?
Ha ce ne sont pas les mêmes que ceux qui venaient dans les raves il y a vingt ans ! (Rires.) Ceci dit, depuis peut-être un an ou deux, je vois de plus en plus de gens qui écoutaient mes tout premiers disques et qui me recontactent, des gens qui ont une sorte de nostalgie de mes disques d’il y a vingt ans. Je pense que tout le monde, par contre, juge mon parcours atypique. Et ça, ça me fait plaisir, d’être atypique dans cet écosystème. Je suis content de pouvoir jouer à la fois au musée d’Orsay, pour la cérémonie des Jeux olympiques, de faire de la musique de film, des disques pour les clubs. C’est vrai que c’est assez dingo. Mais j’embrasse notre époque et ses métamorphoses, comme l’intelligence artificielle.
Tu utilises l’IA de quelle façon ?
Là je vais sortir un player pour le morceau Getaway, avec Nile Rodgers et Madison Mc Ferrin, qui est sur le nouvel album Unshadow, et il y aura autant de versions qu’il y aura d’auditeurs ! Chaque fois que quelqu’un va écouter le morceau, l’IA générera une version unique. On aura tous notre propre version de la chanson.
Ce nouvel album est aussi multiforme et pioche dans le R&B, le trip hop, la house…
J’ai toujours fait des albums un peu multiples comme ça. Dès mon premier album, j’avais des morceaux avec Tricky, avec Sylvie Marks, sur le deuxième, j’avais Neneh Cherry. A chaque fois, il y avait des morceaux assez éloignés de l’univers club. Et aujourd’hui, avec le streaming, les gens sont devenus plus curieux et découvrent des musiques différentes auxquelles peut-être ils n’auraient pas eu accès, ils sont plus ouverts. C’est pour ça peut-être que Drift a très bien marché.
Unshadow est un album très solaire.
Pendant le Covid, j’ai commencé deux albums, un qui était très noir et un qui était très solaire. C’était un peu mon Docteur Jekyll et Mister Hyde. Et donc l’album noir, je me suis dit qu’il valait mieux le sortir à cette période-là, c’était .dev. Et l’album solaire, c’est devenu Unshadow. Il a pris plus de temps à se faire, mais ils ont démarré ensemble.
Comment ça marche la composition chez toi ?
Il n’y a pas de règles, ça dépend des périodes. Là par exemple, ça fait trois ou quatre mois que je n’ai pas fait de musique, et c’est assez rare. Quand je discute avec des écrivains, ils disent souvent la même chose, c’est qu’ils ont besoin de ne pas écrire pendant un certain temps, volontairement. Ils n’écrivent pas, ils le gardent en eux. Et au moment où ils s’assoient, pfiou, ça sort. Dans ma carrière, il y a eu des moments de creux comme entre l’album Drift et Impermanence, où je me suis forcé un peu en studio à faire des trucs et ce n’était pas bien. Donc je ne crois pas qu’il faille être dans cette culture du rendement. Tu as des fulgurances, des intuitions, des inspirations. Il faut les écouter, il faut les provoquer.
Est-ce que tu composes de manière un peu fonctionnelle ? Est-ce qu’il y a par exemple l’intention de faire un morceau R&B ou un morceau house ?
Très fréquemment, le morceau que tu commences est en réaction à celui d’avant. C’est-à-dire que si je fais un morceau de house, je vais vouloir faire un morceau de techno le coup d’après. Mais si ça se trouve, ça finira comme un morceau d’ambient. Ce sont souvent les accidents qui génèrent un son, un esprit, et du coup, c’est ça qui me guide.