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Chronique : Tyler, The Creator - « Chromakopia »

Le septième album du musicien californien est un nouveau coup de génie qui questionne la notion d’héritage noir tout en se détachant encore plus des préétablis esthétiques.

Tyler, The Creator 2024 © Tyler Okonma

Il y a chez Tyler, The Creator un sentiment d’urgence. Quelque chose dans le rythme, dans l’énergie, qui trahit une évidente envie de fracasser l’ordre établi, qu’il soit sociétal ou musical. C’est dans l’ADN de sa discographie, et donc dans ce nouvel album, Chromakopia, son septième en près de quinze années de carrière solo. Depuis IGOR en 2019, celui qui a commencé au sein du collectif de rappeurs Odd Future est entré dans la caste réservée aux artistes les plus respectés, que ce soit pour leur force discursive ou pour la grande liberté artistique qu’ils mobilisent. Call Me If You Get Lost, deux ans plus tard, signait un pas de côté dans la noirceur et le voyait s’éloigner radicalement de la recherche mélodique de son prédécesseur. Des albums vertigineux aux atmosphères sinueuses dont Chromakopia est un digne descendant.

Ici, les BPM sont élevés, les rythmiques martelées, et ce disque entérine sa volonté de désengagement total envers la notion de genre. Hip-hop, rock, soul, R&B ou électro : aucun ne vient à l’esprit. Tyler, The Creator crée une sorte de velours formel rassurant, sans jamais mettre à mal son audience. On passe ainsi de morceaux martiaux à d’autres parés de guitares folk détournées ou à un pop plus malicieuse. Les formats ont l’air de voler en éclats mais ne vont jamais jusqu’à la rupture, même dans ces instants sidérants où l’album paraît à bout de souffle, s’époumoner de lui-même avec ces râles et ces dissonances subtiles.

Le travail de production avant-gardiste du Californien s’appuie sur une imagerie, comme toujours, très travaillée, avec un nouvel alter ego (après Tyler Baudelaire sur Call Me If You Get Lost) symbolisé par ce masque qu’il porte sur la pochette. Après avoir questionné les réflexes paternalistes, sexistes et racistes au cours de sa carrière, l’artiste s’interroge sur la paternité et l’héritage noir.

Comme d’autres patrons des musiques noires américaines, Frank Ocean et Kendrick Lamar en tête, Tyler semble balancer entre son ancrage et son besoin d’élévation, et Chromakopia, avec sa beauté sinueuse et multifacette, concrétise son cheminement.