Ray Charles – The Great Ray Charles (1957)
Quand ils se rencontrent dans les années 40, Quincy Jones et Ray Charles ont respectivement 13 et 16 ans. Ils vont ensuite se produire ensemble dans les clubs de jazz de Seattle jusqu’à cinq soirs par semaine. Il était presque impensable qu’ils ne se retrouvent pas dans un studio une dizaine d’années plus tard, Jones dans le rôle d’arrangeur et compositeur de plusieurs titres d’un album entièrement instrumental, comme pour mieux rappeler l’apprentissage jazz de celui qui glisse soyeusement ses doigts sur les touches de son piano.
Quincy Jones and His Orchestra – The Quintessence (1961)
Le temps de son unique album pour le compte du label Impulse!, Jones montre que la maîtrise d’un big band n’a pas de secret pour lui et comment lui offrir groove et flamboyance, notamment quand il s’agit pour les saxophones (dont celui de Phil Woods en priorité) et les trompettes (Freddie Hubbard en tête) et le reste des cuivres de donner leur pleine mesure. Quant à ce Robot Portrait, composition cosignée avec le tromboniste Billy Byers, il porte déjà en lui les germes de musiques de films ou de séries TV de demain.
Quincy Jones – Big Band Bossa Nova (1962)
En 1962, Quincy Jones s’éprend de bossa-nova, « the newest latin american rhythm » ainsi que l’indique cette pochette d’album optant pour un orange ardent. Il va s’abreuver à la source des Antonio Carlos Jobim (Desafinado, Chega de Saudade), Luiz Bonfa (Manha de Carnaval), Ronaldo Boscoli (Se E Tarde Me Pardoa) et consorts, et met à contribution Lalo Schifrin (Lalo Bossa Nova), qui y voit tout sauf une mission impossible, ou Leroy Anderson (Serenata), que John Williams lui-même considère comme un des plus grands maîtres américains de musique orchestrale légère. C’est en s’attaquant lui-même aux variations brésiliennes que Jones va décrocher son premier succès planétaire avec le fameux Soul Bossa Nova, qui ouvre l’album dans une farandole endiablée.
Frank Sinatra with Count Basie & the Orchestra – Sinatra at the Sands (1966)
Le premier album live de Frank Sinatra sorti commercialement est aussi celui qui retranscrit le mieux l’aisance d’Ol Blue Eyes sur scène, dans la voix, l’humour, la prestance, en tout cas celle que l’on veut retenir. Count Basie et Bill Miller, fidèle accompagnateur de Sinatra, peuvent alors se succéder au piano dans cette Copa Room du Sands Hotel de Las Vegas, tandis que, depuis sa position de chef d’orchestre, Quincy Jones veille à ce que l’ensemble tourne comme la plus pointue des horlogeries et lui permettre à son tour de s’envoler vers la lune…
Quincy Jones – Smackwater Jack (1971)
Un an plus tôt, les dévots du jazz traditionnel avaient manqué de s’immoler vivants face à « la trahison » de Quincy Jones, qui avait choisi de s’aventurer en terrain pop sur l’album Gula Matari. La punition est pour eux renouvelée avec ce Smackwater Jack qui jongle avec les thèmes de série TV (celui de L’Homme de fer, la contribution la plus célèbre de Jones au genre), de films (Le Gang Anderson) ou du Bill Cosby Show, et les reprises de Carole King (Smackwater Jack) ou Marvin Gaye (What’s Goin’ On). Tout juste auront-ils le temps de se consoler avec ce Brown Ballad sublimé par l’harmonica de Toots Thielemans avant que Guitar Odyssey : From Roots to Fruits ferme le bal le temps d’un voyage en toute liberté à travers l’histoire de la six-cordes.
George Benson – Give Me the Night (1980)
Quand le funk vous a occupé tout au long de la décennie précédente, la fièvre disco vous emporte forcément. Avec sa garde rapprochée, au premier rang de laquelle pointe le compositeur Rod Temperton, qui signera demain une improbable triplette pour Michael Jackson (Rock With Me, Off the Wall, Thriller) et qui sévit ici cinq fois, à commencer par les incontournables Off Broadway et Give Me the Night, Quincy Jones s’en donne à cœur joie derrière la console, avec soul jazzy suave pour compléter le tableau. George Benson profite de l’aubaine à plein, ses caresses de cordes de guitare faisant le reste, qu’il les décline ou non jonché sur des patins à roulettes sur le clip du même Give Me the Night.
Quincy Jones – The Dude (1981)
Plus encore que sa récente collaboration avec George Benson (qui, malgré son succès, ne se renouvellera pas), s’il est un projet qui symbolise combien Jones aura compris, façonné, malaxé le R&B des dernières années avant de tracer la voie à suivre, c’est bien l’album The Dude, emmené par un autre succès commercial planétaire, Ai No Corrida. Sans attendre les mêmes sommets, il traduit l’intérêt de Jones pour les saupoudrages électroniques (sur le morceau-titre notamment), tandis que James Ingram et Patti Austin se partagent les parties chantées et que quelques guest stars pointent le bout de leur nez : Herbie Hancock au piano sur quatre titres, Michael Jackson aux chœurs sur The Dude.
Michael Jackson – Thriller (1982)
Certes, il y a eu Off the Wall au préalable. Et Bad après coup. Il n’empêche. C’est clairement avec Thriller que Quincy Jones marquera l’histoire à jamais. Dès les premières mesures de Wanna Startin’ Somethin’, la cathédrale sonore se met en place avec sa rythmique tellurique et ses éruptions de cuivres, héritage direct des années big band du maître du studio. Paul McCartney (The Girl Is Mine) et Eddie Van Halen (le solo de guitare sur Beat It) sont convoqués au parloir, Vincent Price fera peur aux petits enfants de son rire caverneux dans l’écho final de Thriller. Ce n’est plus un album mais une superproduction (62 musiciens ont participé au total), où pop, soul, funk, rock n’ont plus de limites sinon celles de former les piliers d’un temple paré pour défier l’éternité.
USA for Africa – We Are the World (1985)
Diffusé sur Netflix récemment, le documentaire The Greatest Night in Pop a raconté la réalisation improbable du célébrissime single caritatif, montrant un Quincy Jones dont la patience a été mise à mise à rude épreuve au fil des heures qui passaient dans ces A&M Studios de Los Angeles. Une réussite qu’on doit surtout à sa longue expérience de chef d’orchestre sur l’instant et d’arrangeur dans un second temps pour que l’aimable ritournelle confectionnée à la base par Michael Jackson et Lionel Richie aboutisse. Quant à savoir si tous parmi la cinquantaine d’artistes participants ont obéi à l’ultime demande de Jones de laisser leur ego à la porte (du studio), la question reste en suspens…
Quincy Jones – Back on the Block (1989)
Avec Back on the Block, qui sort sur son propre label Qwest Records, l’idée de Quincy Jones est « simple » : réunir toutes les générations, tous les styles qui ont jalonné sa carrière et ceux, plus récents, qui le titillent, à l’instar du rap. Puisqu’il peut tout se permettre, Jones déroule les pages de son carnet d’adresses pour réunir un casting hors normes où vont se croiser, en vrac et dans un dédale R&B et pop : Big Daddy Kane, Ice-T, Ray Charles, Chaka Khan, Bobby McFerrin, Barry White, James Ingram, Herbie Hancock, George Duke, la triplette de Toto Steve Lukather-David Paich-Steve Porcaro, Joe Zawinul, Miles Davis, Dizzy Gillespie. Plus symbolique encore, Back on the Block renferme les derniers enregistrements connus d’Ella Fitzgerald et Sarah Vaughan. Qui dit mieux ?