Produit par Pierre-Richard Muller, ce disque n’a jamais vu le jour car Marie Laforêt se lançait dans la littérature à la même période et ne voulait pas mélanger les genres. Il s’agissait d’un recueil de nouvelles (Contes et légendes de ma vie privée), qui est parvenu à se hisser au sommet des ventes. Comme un signe du destin, les bandes master, qui étaient enfermées dans le coffre-fort de Pierre-Richard Muller, furent dérobées. Elles finirent sur le trottoir, dans un sac-poubelle qui, par chance, attira l’attention d’un agent municipal juste avant l’arrivée des éboueurs. Le nom de Muller étant inscrit dessus, le policier a rapidement remonté la piste et le trésor a pu être sauvé.
Que contient cet album miraculé ? Un nom revient souvent dans les crédits, celui de Gilbert Montagné. En 1980, il était connu pour la chanson The Fool, sortie neuf ans plus tôt. Il s’était reconverti comme pianiste de jazz outre-Atlantique puis accompagnateur de Johnny Hallyday lors de son concert au Pavillon de Paris (la salle éphémère du futur parc la Villette). Montagné s’était un peu éloigné des studios à la fin des années 1970 et il n’était pas encore auréolé des deux fameux succès signés Didier Barbelivien (On va s’aimer et Sous les sunlights des tropiques sortiront en 1984). Marie Laforêt lui a cependant fait confiance pour cet album en lui demandant non seulement de prendre en charge les claviers et les chœurs, mais aussi de composer quatre titres. Quant aux paroles, elles sont dues pour la plupart à Daniel Boublil, compagnon de route de Montagné mais aussi de Catherine Lara.
Le résultat est un album pop-rock aux accents parfois folk, comme hanté par une Amérique fantasmée. Une sorte d’americana imaginée depuis le quartier de Montorgueil, où vivait l’interprète de Manchester et Liverpool avant de migrer vers la Suisse. A cet égard, la reprise de Parlez-moi d’amour version country est l’une des curiosités du disque. La Frontière, Le Pont, La Colline et Le Feu regardent également du côté des USA. Changement de registre avec le tango Monsieur mon président et surtout l’insolite L’Homme de l’espace, un morceau où Marie Laforêt montre ses talents de chanteuse funky tout en s’emparant d’une imagerie SF qui était à la mode dans la pop culture au tournant des années 1980. Dans cet album, elle prouve aussi qu’elle pouvait être tour à tour dramatiquement romantique (la ballade Mon amour où es-tu passé) et pleine de fantaisie (Les Petits Poissons rouges). Quant au sublime morceau Moi Marie, il fusionne ces deux facettes de sa personnalité – loufoque et intense – dans un autoportrait qui décolle en messe pop étincelante, portée par des guitares à la Pink Floyd !