Michael Kiwanuka, c’est un fait, est un grand chanteur. A tel point qu’il ferait presque oublier ses qualités de guitariste et d’instrumentiste en général. Son quatrième album, Small Changes, permet de rappeler ce pan de sa personnalité artistique, de contempler ses compétences d’arrangeur et l’importance de la notion de production dans sa discographie. Voici un disque d’une grande beauté, d’une grande sophistication texturale, enveloppé par des chœurs lointains, par une sorte de masse sonore, écrin sculpté autour de cette voix inébranlable et qui prenait, dans d’autres albums, toute la lumière qui lui était due.
Cette fois, c’est d’équilibre qu’il s’agit. Small Changes est parsemé de longs passages instrumentaux, comme si, chez le chanteur soul, le champ de la recherche d’émotions intenses s’était soudainement élargi. Le frisson vient alors d’un changement d’accord, d’une ligne de violon naissante, d’une basse inamovible et douce, comme c’est le cas par exemple sur la chanson-titre. Et quand la voix reprend ses droits, elle n’en est que plus chargée d’électricité et d’intensité. Est-ce lié à la volée de grands producteurs ayant travaillé sur ce projet, parmi lesquels Danger Mouse, notamment sur le magnifique Lowdown (part. II) ? Certainement.
L’album a été introduit au public par le single Rebel Soul, archétype de cette nouvelle démarche. Une longue plage à peine chantée qui brille par sa montée en puissance instrumentale sans jamais exploser pour autant. Alors que Michael Kiwanuka pouvait, auparavant, régulièrement monter dans les tours, c’est son environnement qui s’en charge cette fois. Lui demeure d’un calme olympien et laisse, seule, sa guitare apporter un grain de dureté. Car Small Changes, comme ses prédécesseurs, est fondu dans l’analogique. Pourtant, il n’y a jamais de sentiment de retour en arrière, de nostalgie ou d’envie de faire « à la manière de », comme c’est bien souvent le cas dans la soul music moderne. Au contraire : les batteries très brutes sont ici fondues dans le mixage, comme contenues afin de ne pas déséquilibrer l’état de plénitude dominant et l’expression du malheur.
Londonien, Michael Kiwanuka semble être totalement libéré des codes soul américains qui enferment parfois ses compères outre-Atlantique. Il a souvent été comparé à Otis Redding pour son incarnation vocale, à Bill Withers pour ses compétences textuelles. Mais cette fois, le raccorder à des légendes du genre semble vain tant les heureux pas de côté sont nombreux, tant le chagrin paraît prédominant. Ce n’est d’ailleurs que dans la dernière partie de l’album qu’une touche d’optimisme et de légèreté se fait entendre, comme une guérison. Un album superbe et un véritable temps fort de sa carrière.