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Chronique : Kendrick Lamar - « GNX »

Habité par les productions rétro et par le besoin de mener une introspection collective, le sixième album du rappeur californien est un lâcher-prise sonore.

Kendrick Lamar 2024 © Universal Music Group

Kendrick Lamar frappe encore, et cette fois à la surprise générale. GNX, sixième album du rappeur le plus acclamé de ces dix dernières années, a débarqué sans crier gare en hurlant une forme de rage tranchant avec son prédécesseur Mr. Morale & The Big Steppers, un retour à une esthétique plus agressive sans omettre ses questionnements récurrents.

Douze titres produits par de grands architectes du hip-hop tels que Dahi, Sounwave et DJ Mustard, mais également par quelques pièces rapportées d’autres genres, Kamasi Washington, Jack Antonoff ou Terrace Martin. Deux fils rouges caractérisent GNX : les éléments hispanisants, notamment représentés par la belle voix de la chanteuse mexicaine Deyra Barrera, présentes sur plusieurs titres, et la rudesse, le cri, l’assaut sonore, comme sur le morceau tv off, devenu un mème viral en cette fin d’année, Kendrick beuglant le nom de « DJ Mustaaaaaard » à en cracher ses poumons.

Si la virulence lui permet de se repositionner au cœur du rap game, continuité de l’humiliation infligée au rival Drake avec le succès mondial du single Not Like Us en mai dernier, le natif de Compton sait aussi ralentir superbement le rythme, comme sur le titre man at the garden, tout en contraste, le calme renforçant l’intensité du propos (« More money, more power, more freedom / Everything Heaven allowed us, bitch / I deserve it all. » ). Le morceau monte terriblement en puissance avant le retour final à la sérénité.

Sur GNX, Kendrick Lamar s’amuse avec sa palette vocale ultra-large qui lui permet une variété rythmique sans équivalent. Ici, la rapidité ou l’agressivité du flow servent le plus souvent une forme de légèreté. Les accalmies passent comme l’œil du cyclone, faisant résonner plus fort la furie.

Et pile au milieu du disque, Kendrick se dédouble. Sur reincarnated, il rappe d’une part, puis se parle gravement en doublant et modulant sa voix, comme une conscience trop bavarde qu’il ne cherche aucunement à faire taire. Ce n’est pas le genre d’un artiste qui a toujours mené une forme d’introspection collective dans ses œuvres, réfléchissant aux barrières mentales et au poids de son environnement.

Une obsession chez lui, qui brillait sur son précédent album et dont les réminiscences sont ici audibles sur man at the garden, expression d’une anxiété écologique généralisée, ou sur le morceau éponyme, l’une des nombreuses réflexions sur la perception de l’artiste noir à succès et la fétichisation qui peut en découler. Ces questionnements sont cette fois mis en scène par d’évidentes références aux années 2000, que ce soit dans les productions hyper synthétiques et martiales, ou dans le R’n’B du morcea dodger blue, rappelant le goût de Kendrick Lamar pour les partis pris radicaux.